#BalanceTonPorc: Assigner les femmes en diffamation, une «procédure bâillon»?

JUSTICE Eric Brion, visé par des accusations de harcèlement sexuel, a assigné celle qui le pointait du doigt en diffamation…

Hélène Sergent
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Paris le 24 avril 2012. Bd du palais. Tribunal de grande instance. TGI. Palais de justice de Paris.
Paris le 24 avril 2012. Bd du palais. Tribunal de grande instance. TGI. Palais de justice de Paris. — A. GELEBART / 20 MINUTES
  • Sandra Muller accuse Eric Brion de l’avoir harcelée lors d’une soirée en tenant des propos dégradants.
  • Elle est désormais visée par une assignation en diffamation.

« Eric Brion que je nomme comme l’auteur des propos dégradants dont j’ai fait l’objet […] a finalement changé de stratégie et a décidé, contre toute décence, de m’amener devant les tribunaux. » Près de trois mois après la publication du tweet de la journaliste Sandra Muller, initiant le mouvement «#balancetonporc» sur les réseaux sociaux, l’homme qu’elle accuse de harcèlement sexuel l’a assignée le 17 janvier en diffamation. Une procédure qui suscite la colère de nombreuses femmes victimes de violences sexistes et d’avocats spécialisés qui dénoncent une « procédure dissuasive ».

  •  Que reproche Eric Brion à Sandra Muller ?
     

Le 13 octobre, la journaliste de La lettre de l’audiovisuel publie en réaction à l’affaire Weinstein le message suivant sur son compte Twitter : « #BalanceTonPorc !! Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. » Puis relate les propos tenus à son encontre par Eric Brion, ex-patron de la chaîne Equidia : « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. » Le mouvement suit et les témoignages de femmes harcelées ou agressées affluent. Aucune réaction en revanche de l’homme accusé et cité par Sandra Muller. Jusqu’au 30 décembre dernier.


Dans une tribune intitulée « Je réclame le droit à la vérité et à la nuance » publiée dans Le Monde, Eric Brion reconnaît des « propos déplacés » et sa « goujaterie » mais nie avoir eu ce comportement dans un contexte professionnel, et affirme n’avoir « jamais travaillé avec elle ». Il explique que la scène s’est déroulée lors d’un « cocktail arrosé », « très tard » et réclame désormais 50.000 euros de dommages-intérêts. C’est sur cette base que le journaliste a décidé d’assigner en diffamation Sandra Muller, confirme auprès de 20 Minutes Me Alexis Guedj, l’avocat de la jeune femme.

  •  Quelles sont les limites de cette procédure ?
     

Pour Elodie Tuaillon-Hibon, avocate au barreau de Paris et spécialiste des violences faites aux femmes, l’assignation en diffamation de femmes dénonçant des cas de harcèlement ou d’agression est utilisée pour les « dissuader » : « Ce que je constate et ce que constatent toutes mes consœurs qui défendent des femmes victimes de violences sexistes, c’est que ces procédures sont utilisées pour faire peur, pour empêcher de parler. C’est une procédure bâillon. » Une analyse nuancée par Catherine Le Magueresse, juriste et ancienne présidente de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail.

« Si on est accusé à tort, cet outil de droit existe pour se défendre et dénoncer une injustice. Le problème, c’est qu’il est aussi utilisé par les agresseurs. C’est une stratégie pour faire taire les femmes. Jusqu’à 2010 et la modification de la loi, les condamnations pour dénonciation calomnieuse étaient d’ailleurs quasi-systématiques à l’encontre des femmes qui avaient déposé plainte pour des faits de harcèlement ou d’agression », analyse la juriste.

  •  Quelles peuvent être les suites juridiques ?
     

Dans son communiqué, Sandra Muller a précisé qu’elle comptait aller « au bout de ce combat avec l’aide de mon avocat » tout en précisant se mettre en retrait médiatiquement pendant ce « temps judiciaire ». Contacté, son avocat précise : « Le dossier ne sera pas jugé avant 6 à 8 mois. Une première audience de mise en état « doit se tenir le 31 janvier prochain avant le véritable procès ».


Désormais, les deux parties vont tenter d’apporter des éléments, l’une pour prouver qu’il s’agissait bien d’un cadre professionnel, l’autre pour démontrer que l’échange s’est déroulé dans un cadre privé. Le tribunal devra ensuite juger de la « bonne foi », « la légitimité du but poursuivi », du « sérieux de l’enquête » ou de « l’absence d’animosité personnelle » de Sandra Muller. «La définition du harcèlement dans le cadre du travail et celle inscrite dans le Code pénal sont claires. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas dans une relation salariale ('employée-employeur') qu’il ne s’agit pas d’une situation professionnelle », conclut Elodie Tuaillon-Hibon.