Comment lutter contre la pénurie de profs dans le primaire?
EDUCATION Certaines académies comme Créteil, Versailles ou La Guyane sont en proie à de véritables difficultés de recrutement…
- Une des solutions est de mettre en place un dispositif de pré-recrutement.
- Il faut arrêter le «stop and go» dans les recrutements pour permettre aux étudiants de se projeter dans une carrière d’enseignant.
- Il semble indispensable d’agir sur les salaires ou au moins sur l’indemnité de résidence dans les académies où le logement coûte cher.
Hier, la crise du recrutement dans l’enseignement touchait essentiellement le secondaire, mais elle se fait désormais ressentir aussi en école maternelle et élémentaire. D’après une enquête du SNUipp parue ce mercredi, 569 postes de professeurs des écoles ouverts aux concours en 2017, n’ont pas été pourvus. Auxquels s’ajoutent les désistements, les départs en retraite et en congés longue maladie. Du coup à la rentrée, 2.000 professeurs manquaient à l’appel. Pour que des élèves aient quand même un enseignant devant eux, l’Education nationale a dû faire appel en urgence à des profs contractuels.
Reste que cette crise des recrutements n’est pas uniforme sur toute la France, comme le souligne Pierre Périer, sociologue et professeur en sciences de l’éducation à Rennes II : « La situation n’est pas critique partout. Elle l’est dans certaines académies comme Créteil, Versailles, la Guyane », explique-t-il.
De multiples facteurs qui découragent les vocations
Si autant de postes n’ont pas été pourvus, c’est tout d’abord à cause d’un nombre insuffisant de candidats au niveau des exigences du concours. D’autant que depuis 2010, les profs sont recrutés au niveau bac + 5 et non plus au niveau bac +3. Mais cette situation est aussi due au fait « qu’à partir de 2012, le nombre de postes offerts aux concours de professeurs des écoles a beaucoup progressé, mais que le nombre de candidats n’a pas suivi », observe Francette Popineau, la secrétaire générale du SNUipp. « Il faut un temps de latence pour que les étudiants soient conscients des débouchés qu’offre l’Education nationale et décident de s’orienter vers cette voie », explique Pierre Périer.
Mais selon Charlotte Bourgougnon, en charge du secteur débuts de carrière au SNUipp, le manque de candidats s’explique aussi par un défaut d’attractivité du métier d’enseignant : « Les conditions d’entrée dans le métier sont jugées difficiles et la rémunération insuffisante, ce qui décourage certaines vocations », estime-t-elle.
Eviter le stop and go des recrutements
Mais les solutions existent pour redorer l’image de ce beau métier et donner envie aux étudiants de l’embrasser. « Il faut d’abord mettre en place des pré-recrutements en première année de licence », suggère Nina Palacio, en charge du secteur débuts de carrière au SNUipp. Le principe est simple : il s’agirait de rémunérer les étudiants pendant leurs études, en échange de leur engagement à servir l’Education nationale pendant un certain temps. « Un bon moyen de s’assurer un vivier de candidats et d’attirer des étudiants issus de milieux modestes », estime Pierre Périer. Des expérimentations ont été menées dans ce sens, mais elles n’ont pas bien fonctionné : « notamment car elles exigeaient des étudiants du travail dans les écoles, en échange de cette rémunération. Or, cela nuisait à la réussite de leurs études. Pour que lepré-recrutement soit attractif, il faut qu’il soit sans contrepartie de travail », insiste Nina Palacio.
Selon Pierre Périer, il faut aussi assurer aux étudiants une meilleure visibilité sur les opportunités d’emplois dans l’Education nationale : « il faut éviter ces recrutements élastiques en mettant en œuvre un plan pluriannuel prévoyant les postes qui seront mis aux concours », suggère-t-il. Un avis partagé par Francette Popineau « car la politique de yoyo du recrutement décourage les étudiants de se lancer dans cette voie », insiste-t-elle. Pour les académies déficitaires, Pierre Périer estime aussi qu’il faudrait permettre aux candidats recalés dans d’autres académies avec des bonnes notes, d’y postuler : « Un candidat recalé dans l’académie de Montpellier avec 12 de moyenne pourrait ainsi postuler à Versailles », cite-t-il comme exemple. De son côté, le SNUipp souhaite que le concours de recrutement supplémentaire de professeurs des écoles organisé depuis 2015 pour l’académie de Créteil et ouverts à toute la France soit reconduit. Car même s’il ne permet pas de pourvoir tous les postes ouverts dans cette académie, il contribue à réduire la pénurie d’instits.
L’argent, le nerf de la guerre
Par ailleurs, les syndicats d’enseignants sont unanimes pour réclamer une revalorisation des salaires des enseignants, facteur évident d’attractivité. Mais les académies de Créteil et Versailles, les plus touchées par la crise des recrutements, étant aussi celles où se loger est particulièrement coûteux, Pierre Périer suggère aussi une revalorisation de l’indemnité de résidence accordée aux profs dans ces zones, « car actuellement elle est dérisoire », lâche-t-il. « Dans ces académies, on pourrait aussi réserver des logements sociaux aux enseignants », suggère aussi Francette Popineau. Reste à savoir ce que Jean-Michel Blanquer fera de toutes ces propositions.