Justice des mineurs: «L'alternative à l'incarcération semble impossible à penser»
INTERVIEW Deux historiens ont décortiqué deux siècles de traitements judiciaires appliqués aux enfants dans l'ouvrage «Mauvaise graine» publié ce mercredi 13 septembre...
Comment la France juge-t-elle ses enfants ? Pour tenter de répondre à cette question, les historiens Véronique Blanchard et Mathias Gardet se sont plongés dans près de deux cents ans d’archives juridiques, médicales et culturelles. Ces deux spécialistes du monde judiciaire en ont tiré un ouvrage riche et fascinant, Mauvaise graine - Deux siècles d’histoire de la justice des enfants, publié ce mercredi 13 septembre.
« Enfant honnête » contre « petit voleur », « apaches », « blousons noirs », « racaille », leur travail livre le regard souvent brutal porté sur ces mineurs délinquants par une société qui a toujours oscillé entre volonté d'« éduquer » et nécessité de « punir ». Une analyse historique pour mettre en perspective une problématique toujours contemporaine. Mardi, le journal Le Monde révélait l'explosion, en un an, du nombre de mineurs incarcérés. Entre 2016 et 2017, le nombre d'enfants détenus aurait progressé de 16,6%. Une première en quinze ans.
Véronique Blanchard, coauteure de cette publication et responsable du centre d’exposition « Enfants en justice » à Savigny-sur-Orge, détaille pour 20 Minutes l'objet de son projet.
Comment est née l’idée du livre et à partir de quelles archives avez-vous travaillé ?
C‘est un travail de longue haleine, cela fait dix ans que nous travaillons, Mathias Gardet et moi sur ce sujet, notamment dans le cadre du centre d’exposition « Enfants en justice ». C’est un lieu unique en France qui retrace l’Histoire de la justice des enfants et qui accueille des publics variés.
Nous souhaitions tous les deux qu’il y ait un ouvrage de référence, grand public, avec des images, des archives sur le sujet. Nous avons eu accès à plusieurs documents appartenant au ministère de la Justice et les éditions Textuel nous ont également donné accès à quelques pépites, comme ces dessins d’enfants placés dans des centres d’observations dans les années 50.
L’un des constats marquants de votre ouvrage, c’est la dépendance constante des autorités à l’incarcération ou à l’enfermement…
L’incarcération fait profondément partie des modes de régulations des populations en France. Nous sommes l’un des rares pays d’Europe où jamais nous n'avons tenté de ne pas incarcérer les mineurs. Certains Etats ont arrêté de recourir à la prison à un moment donné. L’alternative à l’incarcération, même pour les enfants, semble ici impossible à penser.
C’est ce que nous voulions montrer, notamment parce que le grand public ne sait pas forcément qu’en France, on peut placer en détention un mineur dès l’âge de 13 ans. Les archives montrent par ailleurs qu’il y a eu des périodes d’ouverture mais la prison ou les centres fermés restent une vieille habitude française dont on a du mal à se départir et ce malgré la volonté de certains acteurs judiciaires et éducatifs.
Votre livre souligne également un paradoxe entre la nécessité de protection d’enfants « des classes laborieuses » et la peur qu’ils inspirent à l’Etat…
C’est un balancier très complexe entre « enfance en danger » et « enfant dangereux », qui penche vers une thèse ou vers une autre en fonction du contexte ou des autorités qui gouvernent. Le panorama que nous faisons sur deux cents ans montre tout de même que l’enfant perçu comme « dangereux » l’emporte et l’a emporté plus régulièrement sur l’opinion publique que la nécessité de protéger l’enfant.
Or ce sont souvent les mêmes enfants, avec le même mal-être, les mêmes difficultés psychologiques, sociales et familiales. Certains vont fuguer, d’autres vont voler. Dans les années 1950 ou 1970, l’opinion pouvait l’entendre et à d’autres périodes, à la fin du 19e siècle ou dans les années 2000, le constat était plus caricatural.
S’agit-il à vos yeux d’un livre politique ?
Non, c’est un livre d’Histoire. La délinquance juvénile et les réponses apportées s’articulent en différents cycles. Nous avons voulu montrer comment le passé peut permettre de réfléchir aux problématiques actuelles, aussi complexes soient-elles. C’est cela qui nous intéresse