Procès d'un viol collectif : «La méconnaissance des conséquences psychosomatiques du viol nuit aux victimes»

INTERVIEW Jeudi, le parquet a fait appel du verdict de la cour d'assises des Hauts-de-Seine qui avait acquitté il y a une semaine sept hommes poursuivis pour un viol collectif...

Propos recueillis par Oihana Gabriel
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Muriel Salmona est psychiatre et victimologue
Muriel Salmona est psychiatre et victimologue — Jonathan Duron / 20 minutes

Un appel très attendu. Vendredi dernier,la cour d’assises des mineurs des Hauts-de-Seine avait surpris voire choqué en acquittant sept hommes accusés d’un viol collectif. Elle avait estimé que les suspects âgés de 15 à 17 ans n’avaient pas « imposé par violence, contrainte, menace ou surprise » des rapports sexuels à la victime, âgée de 14 ans au moment des faits. La psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique Muriel Salmona a lancé une pétition mardi dernier pour demander que le parquet fasse appel. Ce que le parquet a fait jeudi soir. La victimologue explique à 20 Minutes sa démarche, son combat et son souhait de voir la loi française évoluer pour mieux protéger les victimes de viol.

Vous dites que ce procès est sans précédent. Pourquoi ?

Le verdict de ce procès est scandaleux ! Sept hommes inculpés du viol collectif ont été acquitté. Alors que deux autres garçons, âgés de moins de 16 ans, ont été déclarés coupables de viol en réunion et condamnés à trois ans de réclusion criminelle avec sursis par le tribunal des enfants. Cela envoie un message très fort : une victime qui a été violée sept fois peut être consentante. C’est un concentré de culture du viol et une nouvelle preuve de l’impunité totale. Ces jeunes n’ont eu aucune injonction de soin, aucune interdiction de se rapprocher de la victime !

Pourquoi avoir lancé une pétition ?

Parce que ce verdict ne respecte pas laconvention d’Istanbul, adoptée par la France ; qui érige des standards minimums en matière de prévention, de protection des victimes et de poursuite des auteurs de violences faites aux femmes. Il y est bien dit qu’on doit prendre en compte la stratégie des agresseurs. Dans ce cas, il est évident que le viol était prémédité : un homme a d’abord sonné pour vérifier que la victime était seule avant que les agresseurs reviennent à huit pour la violer pendant qu’un des adolescents faisait le guet. D’autre part, la notion de contrainte doit être recherchée. Dans ce cas, le rapport de force était évidemment en faveur des agresseurs.

Le parquet a fait appel jeudi soir. C’est une victoire ?

Faire appel six jours après le verdict, c’est tardif, mais c’est bien sûr une victoire. La mobilisation a payé. Et nous serons très vigilants lors du procès en appel dans quelques mois. Cette jeune fille a été victime d’inceste, elle ne peut donc pas compter sur sa famille. Nous sommes en contact avec son avocate et nous ferons notre possible pour qu’elle ne soit pas seule.

Je suis des victimes de viol depuis vingt ans et je peux assurer qu’il est très difficile de réparer le tort causé par un tel verdict. Cela lui renvoie l’idée que les agresseurs avaient raison, qu’elle n’est rien et pour toute sa vie. Nous avons d’ailleurs mené une étude avec l’Unicef qui prouvait que le risque suicidaire augmentait lors des procédures judiciaires.

Qu’est ce que ça change pour la victime ?

Tout. Ce nouveau procès va être très dur pour elle, mais c’est essentiel qu’il ait lieu. Et je pense que si elle voit que 40.000 personnes ont signé la pétition en deux jours, cela peut lui redonner espoir. J’ai suivi une jeune femme qui avait subi deux viols collectifs il y a plus de dix ans. Ce n’était pas encore l’époque des réseaux sociaux, mais notre pétition avait recueilli 1.500 signatures et beaucoup de commentaires. Et pour elle, ce mouvement avait été extraordinaire, le monde se remettait à l’endroit et elle avait repris espoir dans l’humanité.

Plus largement, je suis en contact avec des associations et énormément de victimes de viol qui me disent que cette décision est énorme, que ça prouve qu’une mobilisation peut changer les choses.

La question du consentement était au cœur de ce procès. Comment analysez-vous le fait que selon les inculpés, la victime ne s’est pas opposée au viol ?

Ses agresseurs l’ont décrite comme « une fille facile ». C’est qu’en réalité, les violeurs repèrent les femmes vulnérables. Une expérience au Canada avait prouvé que des violeurs en série pouvaient repérer sur une vidéo où dix femmes marchaient dans la rue deux d’entre elles qui avaient subi un viol. Souvent, les victimes de viol, et d’autres violences extrêmes comme un attentat, réagissent au choc par la sidération et la dissociation. Le tsunami émotionnel peut avoir des conséquences graves : un arrêt cardiaque ou des atteintes neurologiques. Pour éviter cela, la sidération bloque les fonctions supérieures du cerveau, ce qui fait disjoncter le circuit émotionnel et crée donc la dissociation. Qui ressemble à une anesthésie émotionnelle et physique.

Cette dissociation dure tant que la victime se trouve face au danger. Or dans ce cas, la jeune fille vivait avec son père, qui l’avait violé à 12 ans. Elle était certainement dissociée depuis des années…

D’autant que pendant le procès, la victime qui se retrouve face à ses agresseurs va souvent se dissocier à nouveau. Cette incapacité à ressentir des émotions peut faire croire aux juges que la victime n’est pas si choquée, traumatisée et ne pas éveiller l’empathie. La méconnaissance des conséquences psychosomatiques du viol nuit aux victimes. Quand j’interviens en cours d’assises, je change la donne quand j’explique la dissociation. Et dans certains pays, les victimes de viol participent au procès par vidéoconférence pour qu’elles soient plus protégées.

Comment mieux protéger les victimes de viol ?

Il y a un vrai problème sur la définition du consentement d’un enfant. En France, les relations sexuelles entre un majeur et un enfant de moins de 15 ans sont punies par la loi. Mais on peut considérer que l’enfant est consentant, et dans ce cas, il ne s’agit plus d’un viol mais d’une atteinte sexuelle. Or, comment un enfant de 9, 11 ou même 14 ans pourrait-il avoir la capacité, la force, la maturité pour consentir à un acte sexuel ? Autre problème, rien n’interdit un rapport entre mineurs. Dans ce cas précis, la quasi-totalité des agresseurs étaient mineurs ! Personnellement, je souhaite que le consentement à des actes de pénétration ne soit en aucun cas pris en compte par la loi en dessous de 15 ans.