Contrôle au faciès: «Il n'y a aujourd'hui aucune volonté politique à ce sujet», déplore le Défenseur des droits

INTERVIEW Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, présentait ce jeudi son rapport annuel d’activité. En 2016, les saisines en lien avec des interventions policières ont augmenté de 34,6 %…

Propos recueillis par Hélène Sergent
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Jacques Toubon, Défenseur des droits, le 8 juillet 2016 à Paris.
Jacques Toubon, Défenseur des droits, le 8 juillet 2016 à Paris. — MARTIN BUREAU / AFP

Trois semaines après la violente interpellation de Théo à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le Défenseur des droits, Jacques Toubon, remettait ce jeudi son rapport annuel d’activité. Marquée par les manifestations contre la loi Travail et une quatrième prolongation de l’état d’urgence après l’attentat de Nice, l’année 2016 a vu les saisines liées aux interventions policières augmenter de 34,6 %. Contrôles d’identité et accès aux droits fondamentaux, le Défenseur des droits livre son diagnosticà 20 Minutes, à trois mois de l’élection présidentielle.

Le 15 février dernier, vous avez appelé à l’antenne de France Inter à mettre en place une traçabilité des contrôles de police. Cinq ans après l’abandon du projet de récépissé, de quels moyens réels et effectifs disposez-vous pour garantir l’apaisement de la relation police-citoyens ?

D’abord, ce n’est pas une question technique mais une question de volonté politique. Or, il n’y a pas eu et il n’y a pas actuellement de réelle volonté politique. On assiste depuis des années à une forte opposition entre les syndicats de police et les associations contre les violences policières mais le gouvernement reste inactif. Cette confrontation stérile ne peut plus durer, c’est dramatique pour la cohésion sociale.

Les autorités doivent mettent autour de la table les élus locaux, des députés qui ont travaillé sur cette question, des chercheurs, les représentants des forces de l’ordre, les syndicats et les associations. Il faut que nous nous inspirions de ce qui est mis en place à l’étranger et qui fonctionne. Une attestation administrative électronique remise aux citoyens lorsqu’ils sont contrôlés permettrait de savoir combien de contrôles d’identité sont effectués chaque année, sur quels motifs et qui sont les personnes visées. En Angleterre, cette solution a permis de faire baisser les contrôles subjectifs.

Enfin, il est important de rappeler que dans une étude réalisée par mes équipes l’année dernière, 80 % des personnes interrogées déclaraient avoir « confiance dans la police ». Les choses ne fonctionnent pas si mal, mais de fortes tensions persistent entre une partie de la population - de jeunes hommes noirs ou d’origine maghrébine - et la police. Et si j’ai reçu beaucoup plus de demandes de saisines en 2016 sur les questions de déontologie de la sécurité, c’est à cause des réclamations consécutives aux nombreuses manifestations du printemps contre la loi travail.

Le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, vous a saisi pour réaliser une étude sur la doctrine et la pratique du maintien de l’ordre en France. Il y a deux ans, après la mort de Rémi Fraisse, une commission d’enquête a siégé pendant des mois à ce sujet pour un résultat quasi-nul…

Si cette commission a échoué, c’est parce qu’elle a fait l’objet d’un conflit politique entre les députés des différents groupes. Après les grandes manifestations contre la loi Travail, j’ai reçu plusieurs parlementaires et nous avions fait le constat qu’il fallait une modernisation de la « doctrine de maintien de l’ordre » et faire un aggiornamento. Claude Bartolone a décidé de me saisir, je vais faire ce travail en collaboration avec les gendarmes, les policiers, les magistrats. Par ailleurs je me suis rendu il y a quinze jours, au centre national d’entraînement des forces de gendarmerie pour observer les formations dispensées. Je vais prendre plusieurs mois pour entendre tous les points de vue et proposer des recommandations.

Il y a quelques jours, le Parlement a voté en faveur de la loi dite de « sécurité publique » qui prône notamment le doublement des peines prévues pour outrages. N’avez-vous pas le sentiment que, parfois le pouvoir politique altère, abîme ou menace le travail de médiation que vous tentez de mener depuis 2014 ?

Nous sommes dans deux missions différentes, le gouvernement et le Parlement s’efforcent de répondre à une demande de l’opinion publique, moi je réponds à la demande sociale. Cette demande sociale est une demande d’égalité, pour garantir une égalité de traitement. J’ai rendu un avis au Parlement lors du vote de cette nouvelle loi en précisant que, dans 95 % des cas, les délits d’outrage étaient déjà condamnés. En renforçant ces peines, cela donne le sentiment que le politique fait le choix en faveur des policiers et non des citoyens. C’est pourquoi j’ai dénoncé dans cette loi un symbole politique, non nécessaire, et qui pourrait engendrer des illusions.