Devoir de vigilance: «C'est un texte de compromis, essentiel pour la protection des droits humains»
INTERVIEW Cette loi oblige les multinationales françaises à vérifier les conditions de travail de leurs sous-traitants…
L’Assemblée nationale a définitivement adopté la proposition de loi sur le « devoir de vigilance » des multinationales en matière de respect des droits de l’homme et de l’environnement chez leurs sous-traitants.
Le problème avait été soulevé dans l’actualité en 2013 lorsque l’immeuble Rana Plaza s’était effondré au Bangladesh. Sous les décombres, plus d’un millier d’ouvriers qui travaillaient pour des marques textiles européennes avaient été tués.
Après trois ans de combat, Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Ethique sur l’étiquette, se félicite de cette avancée.
Ce vote est l’aboutissement d’un combat long de trois ans. Pourquoi ça a été si long ?
Le texte a rencontré une opposition systématique de la majorité sénatoriale. Il a fallu braver un lobby économique très fort, opposé au lobby citoyen. A la fin, nous sommes parvenus à faire valider un texte de compromis, essentiel pour la protection des droits humains. Cela faisait des années que l’on était engagé là-dessus.
Êtes-vous satisfaite du texte final ?
Oui, c’est une grande satisfaction d’inscrire pour la première fois dans le droit un texte dédié aux droits humains et environnementaux. C’est aussi la première fois que le donneur d’ordre est rendu responsable. Ce texte rend conforme la réalité juridique à la réalité économique.
Mais nous regrettons plusieurs points. Ce texte ne va pas assez loin : le périmètre ne concerne que 150 à 200 entreprises françaises environ. Le régime de responsabilité n’évolue pas, c’est-à-dire que l’on reste sur de la responsabilité civile. Il n’y a pas de nouvelle création de responsabilité pénale par exemple.Il y a seulement une amende, de 10 à 30 millions d’euros, un coût dérisoire si on le compare au chiffre d’affaires de ces multinationales.
Concrètement, quel sera le devoir des multinationales ?
L’obligation des entreprises consiste à définir et publier un « plan de vigilance » : cela permet de cartographier les risques relatifs à leurs sous-traitants, et de mettre en place des mesures de prévention en fonction du secteur. Les groupes ont déjà commencé à le faire. La seule différence, c’est que ça va devenir obligatoire.
Y a-t-il des conséquences immédiates sur les travailleurs de ces sous-traitants ?
Concrètement, ça ne leur apporte rien directement. Mais il est important qu’une entreprise identifie comment lutter contre le travail des enfants, s’il y en a chez ses sous-traitants. En revanche, concernant les salaires bas, ça ne changera rien pour le moment, car les entreprises respectent les lois locales.
Allez-vous essayer de faire évoluer cette loi ?
On va faire en sorte que la loi soit appliquée rapidement. On ne veut pas multiplier les amendes, on veut limiter les dommages.
Dans un second temps, on cherche à faire en sorte qu’elle ait une portée plus large, qu’elle concerne plus d’entreprises.
D’autres pays nous ont déjà emboîté le pas ou préparent des projets similaires, comme l’Angleterre ou la Suisse. Le niveau pertinent est européen, donc il faut respecter le temps long de la prise de décision européenne. La volonté de changement viendra avant tout des Etats.