Sexualité: «Ce qui nous unit, c'est la jouissance», estime la touche-à-tout Julia Palombe

TOUTSEXPLIQUE Auteur, interprète, danseuse et aujourd’hui écrivain, Julia Palombe veut en finir avec la société de la « mal-baise », à travers son essai « Au lit citoyens ! »…

Propos recueillis par Audrey Chauvet
Julia Palombe, auteur de «Au lit citoyens!»
Julia Palombe, auteur de «Au lit citoyens!» — @Ami Colberg

Cet été, alors que la polémique sur le  enflammait les esprits, Julia Palombe diffusait une vidéo d’elle en « burkunu » sur un parking de supermarché. Provocante ? Julia Palombe cherche plutôt à faire un pas de côté, en danseuse qu’elle est, pour ouvrir d’autres pistes de réflexion sur nos corps et nos sexualités. Dans son premier essai, Au lit citoyens ! (éd. Hugo & Cie) qui sort ce 15 septembre, elle nous appelle à sortir du carcan sexuel dans lequel la « société de la mal-baise » nous enferme.

Qu’appelez-vous la « société de la mal-baise » ?

C’est une société de consommation où l’on pratique le sexe de masse. C’est le capitalisme qui a pénétré la sexualité et qui en a fait un objet de consommation comme un autre en abandonnant toute la chaîne du désir, du plaisir, du respect. Si on vise un monde de citoyens libres érotiquement, il faut aller vers l’éveil des sens et la communication. Cela demande de la créativité, du temps et des efforts, mais c’est en faisant notre propre potion magique de jouissance qu’on fait du bien à l’humanité. Jouir est un acte citoyen. Cela nous rend meilleur, plus créatif, plus intelligent, plus intuitif. A l’heure où l’on nous parle d’unité et d’identité, je crois qu’il faut réfléchir à ce qui nous unit et pour moi la réponse est la jouissance. On nous brandit la fraternité et les drapeaux, brandissons plutôt notre clitoris et notre queue, c’est bien plus clair et précis.

Lorsque vous dénoncez le sexe de masse, vous parlez des applications type Tinder, du porno, de l’imagerie sexuelle omniprésente ?

De tout ça. Les applis de rencontre participent bien sûr au consumérisme sensuel en accélérant les rencontres. Or, la rapidité n’est pas un gage de qualité. C’est comme dans la bouffe : les plats sous vide sont rarement meilleurs qu’un petit plat mijoté à la maison. Il faudrait mettre un peu de côté ces applis et ressortir dans la rue, sur les plages, retrouver le rythme naturel de la rencontre. On peut se taper plein de gens grâce à Tinder ou se branler des heures devant du porno, ça ne nous rend pas intelligent sensuellement. Je vise aussi les injonctions relayées dans les médias : nous sommes passés du « Jouissez sans entraves » de 68 à « Jouissez ! ».

Vous n’avez pas peur de passer pour une réac qui trouve que « c’était mieux avant » ?

Je ne dis pas que c’était mieux avant. L’exemple du mariage pour tous est parlant : c’est une réelle avancée dans l’acceptation des sexualités, mais les remous qu’il a suscités montrent que c’est un sujet sensible qui provoque encore des crispations. Ce n’est pas parce que je dis que la société est mal-baisée que je suis pessimiste. Je veux juste regarder la réalité en face pour qu’on s’en sorte. Nous savons tous très bien que nous ne sommes pas aujourd’hui dans une joie profonde, qu’on se satisfait du minimum syndical sexuel car on a l’impression que c’est la norme, mais je suis persuadée qu’on peut aller vers une destinée joyeuse et créative. Rien n’est enterré définitivement, les braises de la sensualité sont encore vives, il faut seulement les raviver.

Vous vous dites perplexe sur « le souhait de dogmatiser nos sexualités ». Qui veut faire ça, et pourquoi ?

Les dogmes, c’est ce qu’on nous vend : les sites de rencontre, le nombre d’orgasmes à avoir par semaine pour être « normal », le modèle du couple hétéro… En libérant la sexualité féminine, on pensait qu’on allait tout libérer, mais les femmes ont été prises au piège : on a pris leur sexualité et on en a fait des modes. Aujourd’hui, si a 50 ans t’as pas de menottes, t’as raté ta vie. Comme si on avait remplacé les interdits religieux par des pratiques imposées. Bien sûr, la liberté de disposer de sa sexualité est, comme toutes les libertés, angoissante. Mais il y a bien pire dans la vie comme angoisse !

Vous donnez dix commandements pour atteindre une sensualité épanouie, mais ils ne sont pas tous si faciles à mettre en pratique. Par exemple, comment se débarrasser de la jalousie et de la possessivité ?

Il n’y a pas de mode d’emploi ou de recette pour la sexualité, et c’est pour ça que je me contente de donner des pistes de réflexion. On peut piocher à sa guise dans ces commandements et prendre son temps pour les accomplir. Se débarrasser de la jalousie et de la possessivité est le plus difficile car on est très attaché à l’idée que l’autre doit nous appartenir. Pour y arriver, il faut se souvenir que si on attache l’autre, on étouffe toute nouveauté, toute surprise. Au contraire, si on le laisse libre, qu’on ne sait pas toujours où il est, qu’on se demande avec qui il est, on retrouve la passion du début et donc l’excitation. Bien sûr, cela ne se décide pas du jour au lendemain, il faut tester petit à petit, essayer de se dire : et si je lâchais un peu de lest, qu’est-ce que ça me ferait ? Etre libre sexuellement ne veut pas dire coucher avec n’importe qui. Au contraire, c’est souvent savoir dire non. Ça n’a rien à voir avec le libertinage. C’est simplement permettre au désir, par nature incertain et fluctuant, d’évoluer.

Faut-il enseigner la sexualité aux jeunes, et comment ?

Ce livre est destiné aux jeunes, d’une part parce qu’il n’y a rien de choquant dedans et, d’autre part parce qu’il peut provoquer un électrochoc émotionnel positif. Pour les adolescents qui sont au cœur de ces tourments, ce peut être formidable d’avoir un outil comme celui-ci pour en faire une première lecture qui leur donne envie de se cultiver sur le corps humain et l’esprit amoureux, et les aide à se libérer de leurs angoisses. Certains, par manque d’expérience, se demanderont peut-être de quoi je parle, mais je préfère leur jeter les dés dans la direction de la joie plutôt que vers une sexualité triste et aseptisée.