Après l’attentat de Nice, l’efficacité des caméras de surveillance remise en question

SECURITE Les 1256 caméras de surveillance réparties dans la ville de Nice n’ont pas permis d’empêcher l’attentat du 14 juillet. Et ce, alors même que Christian Estrosi ne cesse d’en vanter les mérites…

Caroline Politi
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Le camion qui a fauché les passants à Nice, le 14 juillet.
Le camion qui a fauché les passants à Nice, le 14 juillet. — Claude Paris/AP/SIPA

« Je suis à peu près convaincu que si Paris avait été équipé du même réseau que le nôtre, les frères Kouachi n’auraient pas passé trois carrefours sans être neutralisés et interpellés. » Quelques jours après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher, Christian Estrosi - encore maire de Nice à l’époque (il est aujourd’hui adjoint à la sécurité) – vantait, lors d’un conseil municipal, l’efficacité de la vidéosurveillance.

Ce 14 juillet 2016, les 1256 caméras de la ville – soit environ une pour 280 habitants – n’ont malheureusement pas pu empêcher l’équipée meurtrière de Mohamed Lahouaiej Bouhlel. En quelques minutes, le terroriste a tué 84 personnes et fait plus de 300 blessés. Pourquoi les services municipaux ne sont pas intervenus lorsqu’ils ont vu un camion descendre le quartier Auriol et s’approcher de la promenade des Anglais, quartier bouclé pour les festivités ? Comment, surtout, expliquer que le 19 tonnes ait fait douze allers-retours sur les lieux du drame les jours précédents et jusqu’au matin de l’attentat alors même que les véhicules de plus de 7,5 tonnes y sont interdits ?

« On ne trouve pas ce qu’on ne recherche pas »

Quelque 70 personnes se relaient pourtant 24 heures sur 24 au centre de supervision urbain, la « tour de contrôle » du dispositif, pour scruter un mur d’écrans. « L’efficacité en temps réel des images de surveillance est un mythe. On ne trouve pas, ou extrêmement rarement, ce qu’on ne recherche pas », résume Cyril Rizk, analyste à l’ONDRP, l’office national de la délinquance et des réponses pénales. En clair : à moins de tomber sur la bonne caméra au bon moment, les chances d’empêcher un acte de délinquance, et a fortiori de terrorisme, en direct sont extrêmement limitées.

Selon le chercheur, seuls les événements répétitifs peuvent être détectés quasiment instantanément. Les problèmes de circulation sur des axes particulièrement empruntés et identifiés comme posant problème sont, par exemple, régulés en temps réel. Dans les transports en commun, l’attention portée à des populations ciblées, notamment les Roms, entraîne également fréquemment l’intervention rapide de la police après des actes de délinquance mineurs, comme des vols.

Faire avancer l’enquête

« Les caméras trouvent leur efficacité dans l’utilisation en différé, assure Cyril Rizk. Elles facilitent l’élucidation des affaires. » Les bandes ont notamment permis d’établir le trajet emprunté par le terroriste niçois et qu’un de ses proches, Mohamed Oualid G., mis en examen dans le dossier, est monté à plusieurs reprises dans l’habitacle du camion. Dissimulées dans des endroits stratégiques, les caméras permettent d’obtenir des images exploitables très rapidement. A Londres déjà, lors de l’attentat de 2005, les enquêteurs avaient remonté la piste des terroristes grâce aux enregistrements.

Pour autant, ce dispositif n’a pas d’effet dissuasif dans le passage à l’acte. Les études menées en France mais surtout au Royaume-Uni où la vidéosurveillance est utilisée depuis de nombreuses années, montrent tout au plus un déplacement de la délinquance là où sont implantées les caméras. Quant au terrorisme, médiatisation et images chocs étant recherchées à tout prix, le fait d’être identifié a posteriori n’est pas un frein.

Reconnaissance faciale

Pourtant, Christian Estrosi ne saurait remettre totalement en cause l’aspect préventif de son dispositif. « Si on nous avait autorisés à utiliser notre logiciel de reconnaissance faciale, il en aurait peut-être été autrement. On se serait rendu compte que le conducteur du camion avait été condamné à six mois de prison avec sursis pour violence et qu’il figurait sur le fichier des infractions constatées », a déclaré l’ancien édile dans une interview donnée au Parisien le 22 juillet.

L’élu avait en effet réclamé avant l’Euro de pouvoir associer au système de vidéo surveillance un logiciel de reconnaissance faciale afin de déceler rapidement la présence de fiche « S », notamment aux abords des fans zones. Sa demande, contraire aux libertés publiques, avait été rejetée. Reste à savoir si elle aurait été efficace : la mesure était, à l’origine, pensée pour être utilisée contre des personnes repérées par les services de renseignements. Ce que n’était pas le cas de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel.

Rassurer la population

« La vidéosurveillance est un moyen pour les élus d’afficher une politique sécuritaire pro-active, de montrer qu’on ne baisse pas les bras face au terrorisme ou à la délinquance », analyse Cyril Rizk. Les caméras rassurent. Selon un sondage réalisé par l’Ifop en 2013, 83 % des Français se disaient favorables à l’utilisation de la vidéosurveillance. Et la vague d’attentats devrait conforter cette idée : de plus en plus de gens se disent prêts à sacrifier leurs libertés pour plus de sécurité.