Non, certaines marques de cigarettes ne vont pas disparaître à la vente en France

TABAGISME Mais quelques-unes pourraient devoir changer leurs appellations, ce qui n’est pas une première…

Olivier Philippe-Viela
Une femme allumant une cigarette.
Une femme allumant une cigarette. — A.GELEBART/REA

Marisol Touraine n’aime pas le tabac. Ce n’est une nouveauté, mais selon Le Figaro, la ministre des Affaires sociales et de la Santé aurait même l’intention de faire interdire plusieurs marques de cigarettes. Gitanes, Gauloises, Vogue, Lucky Strike et Marlboro Gold seraient visées, au motif que leurs dénominations seraient trop incitatives, car elles joueraient sur des concepts attractifs (la chance pour Lucky Strike, le luxe pour Marlboro Gold et… la féminité pour Gauloises et Gitanes par exemple).

Cette mesure serait rendue possible, toujours selon Le Figaro, par la directive européenne sur les produits du tabac, applicable dans les états membres de l’UE depuis le 20 mai 2016, et qui a notamment permis l’introduction du paquet neutre obligatoire à la vente à partir du 20 novembre 2016 (date d’entrée en vigueur du décret).

Dans cette directive, transposée par ordonnance du 19 mai dans le Code de la santé publique, l’article 13 (L3512-21 dans le code français), relatif à la présentation du produit, indique que « tout emballage extérieur ainsi que le produit du tabac proprement dit ne peuvent comprendre aucun élément ou dispositif qui […] contribue à la promotion d’un produit du tabac ou incite à sa consommation en donnant une impression erronée quant aux caractéristiques, effets sur la santé, risques ou émissions du produit ».

Les cigarettiers pointent une « interprétation extensive du texte »

C’est sur cette base législative que Marisol Touraine voudrait faire interdire les marques mentionnées précédemment, selon des lobbyistes de l’industrie du tabac cités par Le Figaro. Ils considèrent cela comme « une interprétation extrêmement extensive du texte » et disent ne pas pouvoir se projeter dans la préparation de leurs stocks à destination du marché français à cause de cette incertitude juridique, en vue du 20 novembre et de la mise en place définitive du paquet neutre donc.

Le ministère de la Santé confirme qu’une réflexion sera engagée à partir de cette date, quand la loi entrera en application, mais aucune marque n’est ciblée pour une raison simple : les critères doivent encore être définis. Mais la raison invoquée pour suspendre la vente de Gauloises et de Gitane, à savoir l’image de féminité, semble avoir fait rire au ministère.

Pas d’interdiction d’une marque

Pour l’avocat Olivier Pignatari, spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, s’attaquer aux marques est de toute façon impossible : « L’article 13 de la directive porte sur l’absence d’incitation à la consommation des produits du tabac. De ce point de vue, il en restreint la promotion, ce que le droit français fait déjà notamment avec la loi Evin. Les termes de la directive, qui a été transposée en droit français, ne paraissent pas de nature à interdire l’utilisation d’une marque pour identifier un produit du tabac. »

Le juriste explique qu’essayer d’interdire une marque reviendrait à tenter d’interdire le commerce du tabac : « Sur ce point, le droit français est assez clair : seule est interdite la publicité en faveur du tabac, mais pas l’existence des marques ni même leur apposition sur l’emballage des produits du tabac pour indiquer leur origine, dans la mesure où, ces produits, bien que nocifs, sont autorisés à la vente. »

Marlboro déjà épinglé en 2003

En réalité, ce sont plutôt certaines appellations bien précises (et pas les marques dans leur ensemble) qui pourraient devoir changer de nom, par exemple le Gold de Marlboro, qui a une connotation « premium, haut de gamme » incompatible avec l’article 13 de la directive européenne.

Le cas des paquets dorés de la marque Marlboro est intéressant car ce ne serait pas la première fois que cette gamme de cigarettes aurait l’obligation de changer de nom. Le 30 septembre 2003, à la suite de la « guerre au tabac » déclarée par Jacques Chirac et de la directive européenne Byrne, les mentions « light », « légères » et « mild » ont été interdites dans les appellations. Marlboro Light est devenue depuis Marlboro Gold.

La directive 2016 repose sur le même principe, mais les critères pourraient devenir plus stricts en fonction de l’interprétation qu’en fera Marisol Touraine et de la marge de manœuvre législative dont elle disposera. Le verdict sera donné dans quelques semaines selon le ministère. Seule certitude, les marques montées au créneau (les patrons de la Seita, Philip Morris, British American Tobacco et JTI ont écrit le 8 juillet à Manuel Valls) ne vont donc pas disparaître des étals des buralistes, mais certaines appellations pourraient subir un lifting dans les prochains mois. Avant cela, il y aura de toute manière un relookage imposé à partir du 20 novembre et la vente exclusive de paquets neutres.