Loi Travail: Pourquoi la préfecture veut un «rassemblement statique» le 23 juin
DROIT Interdire la manifestation étant trop compliqué, le gouvernement propose une solution à mi-chemin, rejetée par les syndicats…
Il y aura bien une manifestation contre la loi Travail jeudi, mais dans quelles conditions ? La préfecture de police de Paris a demandé ce lundi aux participants de se réunir… sans défiler, pour « un rassemblement statique ». Pas question pour les syndicats : « Nous venons de faire savoir à la préfecture que nous maintenons notre demande de manifestation entre Bastille et Nation », a déclaré à l’AFP Pascal Joly, secrétaire général de la CGT Ile-de-France. « Pas envisageable », a rétorqué le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.
Après les dégâts constatés dans Paris à la suite de la manifestation du 14 juin, les deux prochains rassemblements prévus par les organisations syndicales, les 23 et 28 juin, ont été menacés d’interdiction par le président de la République. Le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, a rapporté les propos de François Hollande : « A un moment où la France accueille l’Euro, où elle fait face au terrorisme, il ne pourra plus y avoir d’autorisation de manifester si les conditions de la préservation des biens et des personnes et des biens publics ne sont pas garanties. »
Le 19 juin, dans Le Journal du dimanche, Manuel Valls abondait, avec une nuance : « Compte tenu de la situation, des violences qui ont eu lieu, de l’attentat odieux contre le couple de policiers mais aussi de la tenue de l’Euro, les organisateurs devraient annuler eux-mêmes ces rassemblements. C’est du bon sens ! » Tout est dans le « eux-mêmes ». Car l’exécutif a les mains liées par le droit sur ce sujet, et a donc choisi une solution à mi-chemin.
Le « rassemblement statique », un dispositif prévu par la loi
Lorsqu’elle reçoit une demande de manifestation sur la voie publique (au maximum trois jours avant l’échéance), la préfecture peut choisir de l’autoriser sous conditions, ou en imposant une modification du trajet, ou en annulant le défilé, ce qui donne un rassemblement statique. « C’est tout à fait prévu par les textes : on restreint dans le but de permettre l’exercice du droit constitutionnel de manifester afin d’éviter les troubles à l’ordre public. C’est un entre-deux », détaille l’avocat spécialisé en libertés publiques Nicolas Gardères.
Mais s’il y a quand même un défilé, les organisateurs se mettent en infraction pénale et risquent « six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende ». Les participants peuvent venir à un défilé interdit, mais s’ils n’obtempèrent pas aux sommations de dispersion des forces de police, ils encourent une amende de… 11 euros (montant d’une contravention de première classe).
Une tradition « libérale » du droit de manifester
Manuel Valls voulait initialement interdire la réunion des manifestants. Pour cela, deux raisons peuvent être invoquées : des risques de troubles particulièrement graves à l’ordre public, ou l’impossibilité de mettre des services de sécurité suffisants pour garantir la bonne tenue de la manifestation.
« La loi, notamment via la Convention européenne des droits de l’Homme, garantit la liberté de manifester sur la voie publique. L’interdiction doit donc être l’exception. Mais c’est un droit fragile, le risque étant que l’Etat dise que par essence, n’importe quelle manifestation est capable d’occasionner des troubles à l’ordre public. C’est pour ça que le juge administratif veille, et que nous sommes dans une conception relativement libérale du droit de manifester. Traditionnellement, il y a une grande tolérance et ce droit est en général respecté », précise Nicolas Gardères.
Le Premier ministre n’a pas le droit avec lui
Si Manuel Valls a demandé dimanche aux organisateurs « d’annuler eux-mêmes » la manifestation, c’est parce qu’il sait qu’il ne pourra pas le faire lui-même (via la préfecture). Invité de RTL le 19 mai, le chef du gouvernement balayait d’ailleurs l’idée d’une interdiction : « Nous sommes dans un Etat de droit. Si nous décidions d’interdire un certain nombre de manifestations, la justice administrative casserait cette décision », avait-il assuré.
Nicolas Gardères confirme : « L’Etat est plutôt bienveillant avec le droit de manifester et le juge administratif reste un gardien sourcilleux de cette liberté. Manuel Valls sait que si la préfecture prend un arrêté, il y a de bonnes chances qu’il soit ensuite annulé par le tribunal administratif, qui est le garant des libertés constitutionnelles et les applique au maximum. Il préfère donc en appeler à une sorte de responsabilité des organisateurs. »