Manifestant blessé: Doit-on continuer d'utiliser les grenades de désencerclement?

SÉCURITÉ Un homme a été blessé grièvement à la tête après l'usage par un policier d'une grenade dissuasive dite de désencerclement…

Hélène Sergent
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Les forces de l'ordre chargées du maintien de l'ordre le 26 mai dernier à Paris.
Les forces de l'ordre chargées du maintien de l'ordre le 26 mai dernier à Paris. — ALAIN JOCARD / AFP

« Avant, les forces de l’ordre avaient recours à des techniques de mise à distance. Désormais, on blesse ». Pour Anne-Lise Lierville, directrice des programmes de l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), à l’origine d' un rapport sur les violences policières, la doctrine française a changé. Les images violentes d’un manifestant, Romain. D, 28 ans, s’écroulant après un tir de grenade de désencerclement effectué par un policier du groupe d’intervention de la préfecture de police de Paris, ont ravivé le débat sur l’usage des armes dites « intermédiaires » lors d’opérations de maintien de l’ordre. Comment sont-elles encadrées et leur usage est-il proportionné ? 20 Minutes fait le point.

18 projectiles en caoutchouc 

Ces grenades, également appelées « dispositif balistique de désencerclement » (DBD) ou « grenade à main de désencerclement » (GMD) sont composées de dix-huit galets en caoutchouc qui se dispersent dans toutes les directions au moment du déclenchement de la charge et s’accompagnent d’une forte détonation. Leur usage est strictement réglementé comme le souligne une circulaire diffusée le 2 septembre 2014 par le ministère de l’Intérieur, quelques semaines avant le décès de Rémi Fraisse à Sivens à la suite du tir d’une grenade offensive : « La GMD est susceptible d’être utilisée lorsque les forces de l’ordre se trouvent en situation d’encerclement ou de prise à partie par des groupes violents ou armés ». Le tir doit toujours s’effectuer au ras du sol afin qu’aucun projectile ne soit susceptible d’atteindre le visage.

 

Plongé dans un coma artificiel pendant dix jours, Romain. D, le jeune photographe qui souffrait d’un œdème cérébral et d’un enfoncement de sa boîte crânienne, a finalement repris conscience ce lundi 6 juin ont fait savoir plusieurs sources proches de l’enquête à L’Express. Alors que trois enquêtes - deux diligentées par l’IGPN, la police des polices, et une par le Défenseur des droits - sont en cours, les soupçons autour d’un mauvais usage d’une grenade de désencerclement se sont accrus. Les diverses vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent un fonctionnaire de police lancer au ras du sol une grenade, puis le jeune homme à terre, quelques secondes à peine après la forte détonation

« Pas un spectacle de Guignol »

Y’a-t-il un abus du côté des forces de l’ordre chargées de maintenir l’ordre lors des manifestations contre laloi Travail ? Pour Jean Luc Taltavull du syndicat Unsa Police, la réponse est non : « Seuls les fonctionnaires habilités peuvent s’en servir. C’est un dispositif balistique non létal, intermédiaire. Nous ne les utilisons pas pour le plaisir mais pour avoir une progression dans la riposte. Ça reste une arme, on en a conscience ». Une arme qui peut entraîner de sérieuses blessures. Formé une fois par an à l’usage de ces dispositifs, le policier a confié à 20 Minutes avoir lui-même reçu lors d’un entraînement un projectile issu de la grenade et en avoir gardé un « bel œdème au niveau du ventre ». Une part de risque indissociable selon le syndicaliste : « Il existe certaines conséquences que l’on ne maîtrise pas et malgré toutes les précautions, il y aura toujours des blessés. On comprend le questionnement mais cette arme reste appréciée des effectifs parce qu’elle permet le maintien à distance ».

Du côté des gendarmes, la suppression de ces grenades n’est pas la solution explique Jean-Hugues Matelly, porte-parole de l’association professionnelle de gendarmes GendXXI : « Ce serait s’avancer sur une pente glissante. La fin de la mise à distance obligerait les forces de l’ordre à aller au contact ». Selon lui, informer les manifestants des risques et conséquences d’éventuels débordements serait préférable : « Il faut que tout le monde soit bien conscient que lorsque l’on est dans une confrontation avec les forces de l’ordre, ce n’est pas Guignol et ça ne va se passer comme dans un théâtre de marionnette ».

Des séquelles importantes

Une logique en opposition avec le droit de manifester pour Arié Alimi, avocat au Barreau de Paris, conseil de la famille de Rémi Fraisse et de plusieurs victimes de violences policières : « Cette communication reviendrait à dire "voilà ce que ça peut entraîner, donc ne venez pas manifester" ! ». Comme l’Acat, Arié Alimi dénonce le changement de doctrine et l’affrontement quasi-systématique opéré par les forces de l’ordre : « La doctrine du maintien de l’ordre a radicalement changé. Avant on tenait à distance, la doctrine c’était : aucun mort, le moins de blessés possible. Aujourd’hui, on va au contact, on a une doctrine offensive. Les grenades permettent de disperser les manifestants qu’on a autour de soi or on n’en aurait pas besoin - sauf dans le cadre prévu par la loi et la légitime défense - si une doctrine de mise à distance était efficace ».

Citant des outils alternatifs jugés moins dangereux, comme les canons à eau, l’avocat dénonce les séquelles engendrées par ces grenades : « Les GMD contiennent de l’explosif. C’est l’effet de blast, le souffle qui est dangereux, peut blesser ou tuer. On dit qu’elles sont moins létales, qu’elles ne tuent pas directement mais dans certaines circonstances, elles peuvent tuer et mutiler ». Contacté par 20 Minutes, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité préciser si une réflexion autour de ces grenades à désencerclement était en cours. Les investigations menées par l’IGPN, mobilisant une dizaine d’enquêteurs, devraient éclaircir les circonstances des blessures de Romain.D. Depuis le début de la loi Travail, la police des polices a été saisie de 48 enquêtes judiciaires.