Philippe Levillain : «Le Pape a un discours très moderne sur les migrants»
INTERVIEW L’historien de la papauté, membre de l’Institut de France, analyse le message du Pape, après son voyage dans un camp de réfugiés de l’île de Lesbos, ce week-end…
« Nous sommes tous des migrants ». A Lesbos, symbole du verrouillage croissant de l’accès à l’Europe, le pape a appelé samedi le monde à répondre de manière « digne » à l’exode enclenché en 2015. Pour montrer l’exemple, il a également emmené au Vatican 12 réfugiés syriens. Un acte fort qui interpelle Philippe Levillain, historien de la papauté, membre de l’Institut de France…
Comment comprendre ce message où il invite à répondre « dignement » à la crise des migrants ?
C’est un message évangélique classique normal. C’est un geste assez inattendu. Qu’il aille à Lesbos, oui, mais là, il ramène douze personnes, c’est-à-dire 12 apôtres. C’est calculé, c’est un message symbolique. Trois familles, c’est la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. C’est triple message : Amour, entre les hommes. Partage. Et enfin, Paix. Mais cela veut aussi dire autre chose. En tant que successeur de Saint-Pierre, institué par le Christ, le Pape veut être le médiateur d’une réconciliation entre les peuples et les hommes.
Est-ce pour cela qu’il a ramené des familles musulmanes et non chrétiennes ?
On lui a reproché de ne pas avoir emmené des Chrétiens. Il a fait un geste qui veut dire que dans la vie, les peuples doivent s’entendre.
Que signifie l’expression « Nous sommes tous des migrants » ?
Nous sommes tous des passagers de la vie. Et donc on doit être concerné par la misère. Il ne faut pas être égoïstes. Là, c’est une crise exceptionnelle. Le pape François a prononcé le mot d’invasion. C’est un mot tabou utilisé qu’entre le 7e et XIe siècle. C’est probablement le plus grand bouleversement démographique qu’on ait connu depuis le VIIIe siècle. Comme c’est lui, on ne dit rien. Mais imaginez que le président de la république française ait utilisé ce mot, il y aurait eu un mouvement de protestation. Mais la parole du pape est sacrée.
Il s’est rendu à Lesbos avec le patriarche de Constantinople Bartholomée et Ieronymos, l’archevêque orthodoxe d’Athènes. Pourquoi ?
C’est une marque de conciliation et de réconciliation. Il faut que l’Eglise reste Une entre elle. C’est la première fois qu’ils se déplacent à trois. C’est un événement exceptionnel de ce point de vue. Les Eglises chrétiennes font tout pour imposer la paix.
Est-ce qu’il invite concrètement la communauté internationale à accueillir des migrants ?
Je ne suis pas sûr que ce soit son intention première. C’est une intention qui est au-dessus du problème politique. Il veut montrer l’exemple, c’est vrai. C’est la deuxième fois que le Vatican accueille des réfugiés, du moins à l’époque contemporaine. Pendant la seconde Guerre mondiale, il avait accueilli des Juifs (Le silence de Pie XII pendant la Shoah lui est pourtant reproché, N.D.L.R.). Le pape en tant qu’institution intervient dans la vie réelle. Il est allé à Lampedusa, il est allé à Lesbos. Il entend à ce que l’institution spirituelle ait un rôle dans la vie pour apporter la paix. Il y a un précédent : Cuba, en 1962. Il y avait une guerre imminente entre USA et URSS, c’est Jean XXIII qui l’avait arrêtée. Il y avait eu une médiation pontificale. Plus récemment, c’est le Pape François qui a persuadé Obama de ne pas envoyer de troupes au sol en Syrie.
Pour certains, y compris des Chrétiens, le message de ce week-end est surtout un coup de com…
Il est organisé dans sa communication, oui. Mais les gens ne comprennent pas des signes compliqués à comprendre. Parler d’Amour, de Fraternité, de Paix, dans un monde sans Amour, sans Fraternité et dans la guerre, c’est compliqué. Ce sont des termes ramenés à leur plus simple expression pourtant. Ils sont calculés. Le Christ a produit des messages étranges aussi pour certains.
Jusque-là, la communauté catholique s’était moins manifestée que d’autres communautés religieuses, comme les protestants, non ?
Les Catholiques sont très choqués par le fait que les Chérifiens d’Orient sont dévastés. Ils ont probablement du mal à concevoir qu’on ne protège pas d’abord les Chrétien d’Orient en priorité.
Il dit aussi « Je conseillerais à ces trafiquants de venir passer une journée à Moria. Je pense que ce serait salutaire ». Ce n’est pas le ton auquel Jean-Paul II ou Benoît XVI nous avaient habitués…
C’est un pape sud-américain. Il vient d’Argentine, de Buenos Aires où il y a des enfants qui fouillent les poubelles la nuit. C’est effrayant. C’est un vocabulaire très moderne, très réaliste. C’est un homme qui a été proche des réalités. Les précédents papes avaient voyagé, mais dans des conditions très officielles. Lui connaît ça de près. Dans son discours, il parle aussi beaucoup aux enfants. Le pape est très attaché à la famille.