Projet de loi Egalité et Citoyenneté: «J'ai l'impression d'apporter tellement plus dans un cadre bénévole»

REPORTAGE Étudiants à Sciences-Po ou à l’École Normal Supérieure, ils ont choisi la voie du bénévolat en parallèle de leur cursus prestigieux…

Hélène Sergent
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Murielle effectue son service civique au sein de l'association Laghouat dans le 18e arrondissement de Paris.
Murielle effectue son service civique au sein de l'association Laghouat dans le 18e arrondissement de Paris. — H.Sergent

Ils sont sortis de l’école et du collège il y a moins d’une vingtaine de minutes et déjà, les cahiers et livres d’exercices sont disposés sur les tables à l’étage du petit local de l’association Laghouat. Installée dans une ruelle calme du quartier de la Goutte-d’Or dans le 18e arrondissement de Paris, la structure accueille deux soirs par semaine 28 enfants, du CP au collège pour les accompagner, les aider, les soutenir dans leur parcours scolaire. À leurs côtés, huit bénévoles se relaient.

Parmi eux, Murielle, Nicolas ou Elyne, en mission de service civique ou étudiants à Sciences-Po ou l’ENS (École normale supérieure). Âgés de 21 à 26 ans, ces jeunes ont embrassé la voie associative par choix, parfois par conviction mais jamais par défaut. Comment valoriser et encourager ces expériences ? C’est, entre autres, à cette question que vont devoir répondre les parlementaires à travers l’examen du projet de loi Égalité et citoyenneté. Le texte, présenté ce mercredi en Conseil des ministres, est né à la suite des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Mixité sociale, apprentissage de la langue française ou encore promotion du bénévolat, les thématiques abordées par le projet balaient un large spectre.


De l’importance du concret

Parmi les rires et les cris qui emplissent la salle ce soir-là, la voix calme et posée de Nicolas, 22 ans, étudiant en première année de Master de philosophie à l’ENS, tranche. Le jeune homme, arrivé à Paris il y a près d’un an et demi, a rejoint l’association depuis le mois d’octobre dernier : « J’ai donné pas mal de cours particuliers. Ici, ce qui m’a frappé par rapport à mes précédentes expériences, c’est la réceptivité et la bonne volonté des enfants », confie-t-il.

Cet aspirant professeur de philosophie voit en son engagement une façon de commencer à exercer l’enseignement dont il rêve : « Ici, ça a du sens, il n’y a rien de plus beau. J’ai peur que ma matière, la philosophie, soit un jour frappée d’inutilité. Quand je viens ici, j’aide des petits à apprendre à lire, à écrire. C’est concret et ça apporte tellement plus. »

Des liens, des attaches

Un sentiment que partage Murielle, responsable du secteur « Accompagnement à la scolarité », en mission de service civique depuis neuf mois. La jeune femme, âgée de 26 ans, qui détient un Bac + 3 en production industrielle, s’est formée grâce à ses expériences d’animatrice. Diplômée du Bafa, elle voit en cette dimension associative un apport humain décuplé : « Tous ces enfants ont des parents issus de l’immigration, parfois élevés par des mamans célibataires qui ne parlent pas ou peu le français et qui peuvent difficilement accompagner leur scolarité. On a un statut particulier auprès d’eux, ils savent que nous sommes là pour les soutenir et ce statut nous permet de tisser des liens forts avec eux. »

Des liens si forts, qu’à la question de son « animateur préféré », Ali, 10 ans, bouille ronde et yeux rieurs, demande un passe-droit : « Je peux en avoir plusieurs ? ». Épaulé depuis deux ans par l’association, l’élève de CM1 à l’école élémentaire Richomme, peine à énumérer tous les souvenirs et moments privilégiés partagés avec les bénévoles : « On a fait des crêpes, fabriqués des masques et on fait de la danse sur Mickael Jackson ! ». Sa grande sœur, Sabrine, qui rêve de devenir avocate, parce qu’elle « parle beaucoup » ou boulangère « pour travailler entourée de bonbons et de pâtisseries », assure avoir progressé en mathématiques grâce à Murielle et ses collègues. Un résultat qui a convaincu trois de ses camarades, Baba, Noa et Ahmed, d’intégrer l’association à la rentrée dernière.

Regarder plus loin

Issus de milieux différents, les têtes bien faites issues de cursus universitaires exigeants, parfois jugés élitistes, tiennent à valoriser le parcours des enfants : « J’aide souvent une petite fille dont les parents ne parlent pas français mais tamoul. Souvent elle me dit « A la maison on parle Tamoul ! », j’essaie de lui faire comprendre que connaître deux langues, quelles qu’elles soient, est un atout ».

Pour Elyne, 21 ans, étudiante en master de Sciences politiques dans la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume, passionnée de sociologie, l’impact de missions comme celle menées par Laghouat doit être mesuré : « Ce serait intéressant de comparer le parcours de vie, à long terme, d’enfants ayant bénéficié de ce suivi scolaire, culturel, intellectuel à ceux d’enfants, issus des mêmes quartiers, qui n’ont pas eu la possibilité d’être accompagnés. »

Une situation paradoxale

Qu’il s’agisse de deux heures par semaine ou d’une mission de service civique, l’engagement accordé par les volontaires de l’association se heurte parfois à des besoins matériels difficiles à occulter. Pour Elyne, leur situation est paradoxale : « Evidemment, on pourrait choisir de se faire rémunérer en donnant des cours particuliers mais, pour l’avoir fait, je sais que je n’en tirerai pas autant de plaisir qu’au sein de l’association ».

Même constat pour Nicolas : « Le simple fait que des parents fassent la démarche pour offrir à leur enfant un cours particulier et qu’ils soient prêts à payer pour ça, est déjà une chance. Ici, il y a une dimension nécessaire. » Pour autant le jeune homme reconnaît que certains de ses camarades, comme lui auparavant, sont dans l’incapacité financière de donner de leur temps gratuitement.

Pourtant pour Sabrine, Simon et les autres enfants du quartier, l’alternative offerte par Laghouat n’a pas de prix. Ali se souvient encore de la projection du film « Cerf-volant du bout du Monde », offerte par l’association : « Ça raconte l’histoire d’enfants du 18e ! », précise-t-il fièrement. L’œuvre, réalisée en 1958 et qui retrace les aventures de Pierrot et ses amis, gamins de Montmartre, débute ainsi : « Enfants de n’importe où, si tu trouves cet oiseau regarde-le bien, parce que les enfants de partout, ils ont toujours rêvé qu’un jour, ils iraient ailleurs. »