SOCIETELa légalisation du cannabis, solution miracle contre la criminalité?

La légalisation du cannabis, solution miracle contre la criminalité?

SOCIETELes derniers règlements de compte du week-end à Marseille ont relancé le débat sur la légalisation du cannabis en France…
Toulouse, le 2 mai 2013. Des plans de cannabis.
Toulouse, le 2 mai 2013. Des plans de cannabis. - FRED SCHEIBER
Florence Floux

Florence Floux

Coucou, revoilà le débat sur la légalisation du cannabis. Cette fois, c’est Patrick Mennucci, qui a décidé de le rouvrir après le nouveau règlement de comptes qui a fait trois morts le week-end dernier à Marseille (Bouches-du-Rhône).

Le député PS des Bouches-du-Rhône a réagi au meurtre de trois hommes dans les quartiers nord samedi - un quatrième est à dénombrer ce lundi matin. « Nous avons dans notre pays 6 millions de consommateurs réguliers, 9 millions occasionnels et 17 millions qui ont déjà expérimenté le cannabis. Tant qu’un tel marché existera et demeurera dans l’illégalité, des groupes de malfaiteurs se battront pour le contrôler », a constaté l’élu. Avant d’ajouter : « L’État doit légaliser le cannabis, créer une filière et un monopole d’État et en assurer la distribution. Il s’agit de la seule solution pour priver ces réseaux de cette attractivité et de ces moyens financiers considérables. »

Une législation inadaptée

« Tous les six mois, un ancien de 68 remet ça sur le tapis, regrette Serge Lebigot, président de l’association Parents contre la drogue et auteur du Dossier noir du cannabis (Ed. Salvator). Il est illusoire de penser qu’on va mettre fin à un type de criminalité en légalisant le cannabis. On sait bien que les groupes organisés trouvent toujours un nouveau produit dangereux à vendre, une fois qu’une substance est légalisée, comme ça a été le cas aux Etats-Unis à la fin de la Prohibition par exemple. »

Pour Christophe Soullez, criminologue de l’Observatoire national de la délinquance et de la répression pénale (ONDRP), « il ne suffit pas de retirer un produit pour que le vendeur décide d’aller chercher un travail ou de retourner à l’école. Supprimer le cannabis de la liste des produits illicites ne suffira pas à mettre fin au trafic. En revanche, il faudrait une véritable réflexion sur la consommation en France, car la législation n’est plus adaptée. » Sur les dix dernières années, la consommation de cannabis a effectivement explosé, principalement chez les jeunes. La France réussit ainsi l’exploit d’avoir à la fois le système le plus répressif et d’arriver en tête des pays européens pour le nombre d’usagers. D’après une étude de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), un Français de 17 ans sur deux a déjà fumé au moins une fois du cannabis, et près d’un Français sur 10 en fume régulièrement.

Supprimer la demande par la prévention

Une situation qui prouve clairement le dysfonctionnement du système. « Aux Pays-Bas, où le cannabis est dépénalisé -et pas légalisé- on compte beaucoup moins d’usagers parce que la prévention est mise en place dès le collège et le lycée, comme dans beaucoup de pays d’Europe du Nord. En France, la prévention n’existe pratiquement pas. Or, il ne suffit pas de supprimer l’offre pour endiguer le problème, il faut surtout supprimer la demande », regrette Serge Lebigot.

Si des interventions de policiers ou de gendarmes dans les établissements scolaires existent tout de même pour faire de la prévention auprès des plus jeunes, ces initiatives ne semblent pas suffisantes, renchérit Christophe Soullez. « On est encore sur une posture ancienne en France, où les pouvoirs publics voient le cannabis uniquement à travers le prisme répressif. On aboutit à un débat sclérosé qui transcende les clivages politiques. Les élus ont probablement peur d’être taxés de laxisme en parlant davantage de prévention », analyse le criminologue.

Pourtant, le débat sur la modification de la loi est relancé à intervalle régulier. Interdit en 1914, le cannabis est alors presque inconnu du grand public, car il n’est pas consommé. Il se généralise dans les années 1960, avec la contre-culture. « Sa consommation s’est doucement massifiée jusqu’à aujourd’hui », explique Alexandre Marchant, docteur en histoire de l’ENS Cachan, auteur d’une thèse intitulée L’impossible prohibition : La lutte contre la drogue en France de 1960 à 1990.

La solution de la transaction pénale ?

Outre la prévention, qui fait ses preuves en Suède par exemple, d’autres alternatives à la pénalisation existent. La contraventionnalisation a un temps été envisagée en 2003 puis par le candidat Sarkozy à la présidentielle en 2007 et par François Rebsamen en 2012, avant d’être abandonnée. « Le débat est toujours refermé et on conserve la force symbolique de la loi de 1970 », indique Alexandre Marchant. Dans les faits pourtant, si le texte de 1970 prévoit de sanctionner l’usage de cannabis par un an d’emprisonnement et 3.750 euros d’amende, elle n’est pratiquement jamais appliquée. Aussi les détenteurs de la substance s’acquittent le plus souvent d’une amende.

« Dès 1978, la circulaire Pelletier recommande une application plus douce de la loi en n’emprisonnant pas les usagers », raconte Alexandre Marchant. On aboutit ainsi à la situation actuelle : « L’interdiction du cannabis, mais avec une certaine tolérance et une consommation massive », poursuit le Pofesseur agrégé en histoire.

Seul l’Uruguay a tenté l’expérience

Christophe Soullez préconise ainsi de réfléchir à la transaction pénale, qui permettrait en plus d’éviter de comparaître devant la justice en s’acquittant d’une amende. « Ce qui permettrait également de récupérer de l’argent pour alimenter les campagnes de prévention. » Les exemples étrangers restent rares. Seul l’Uruguay (en 2013) a tenté la légalisation du cannabis, ainsi que les Etats américains du Colorado et de Washington (depuis 2014), « soit depuis trop peu de temps pour vraiment en tirer des conclusions », convient Alexandre Marchant.

Le problème reste mondial. L’Assemblée générale des Nations Unies a d’ailleurs avancé son assemblée extraordinaire sur la question des drogues au 19 avril, soit trois ans avant la date initialement prévue afin de trouver des réponses communes à la « réduction significative de la demande et de l’offre de drogues »…