L'ennui au travail ou «bore-out», un syndrome qui rongerait près d'un salarié sur trois

SOCIETE En période de crise, le «syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui» est vécu comme plus honteux encore...

F.V.
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Le bore-out toucherait 30% des salariés en France.
Le bore-out toucherait 30% des salariés en France. — DR

Vous êtes au travail. Vous n’avez rien à faire, ou si peu, et c’est si inintéressant. L’ennui est devenu votre animal de compagnie. L’apathie vous écrase. Vous meublez comme vous pouvez les longues heures qui vous séparent de celle à laquelle vous pourrez décemment quitter le bureau, exténué de n’avoir rien fait, honteux et déprimé, avec le sentiment de ne servir à rien. Vous n’avez qu’une envie : fuir, là-bas, fuir ! Mais voilà, vous êtes coincé, car vous, au moins, vous êtes en poste, et vu le contexte économique, il serait risqué de claquer la porte. Si cette description vous parle, c’est peut-être que vous êtes en proie au « bore-out », le syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui.

Lire les témoignages : « Au travail, les journées sont longues comme un jour sans pain »

Alors que 17 % des salariés seraient victimes de burn-out – en passe d’être reconnu comme maladie professionnelle -, près de 30 % des salariés seraient touchés par le phénomène inverse, selon Christian Bourion et Stéphane Trebucq, co-auteurs d’une étude parue en 2011 dans la Revue internationale de psychologie et de gestion des comportements organisationnels. Les postes de bureau sont les plus concernés, notamment dans la fonction publique - a fortiori lorsqu’un salarié est mis au placard-, mais aussi dans le secteur parapublic et certaines grosses entreprises privées.

« Je reste parce que je n’ai pas le choix »

Etre payé à ne rien faire, le Graal ? Pas vraiment. Pour certains, le mal-être peut aller jusqu’à la dépression. « Surfer sur internet pour passer le temps, ça va quelques jours, mais pas tout le temps », confie Judith Tripard, consultante spécialisée dans les Ressources humaines au cabinet Clémentine et ancienne victime de bore-out.

En France, c’est Aurélie Boullet alias Zoé Shepard, attachée territoriale dans la fonction publique, qui a permis de mettre à jour le problème en 2010 dans son livre à succès Absolument dé-bor-dée (Albin Michel). Elle y détaillait son travail quotidien, qui revenait à « faire 35 heures en… un mois ».

Cinq ans après, la jeune femme s’ennuie toujours sec au Conseil régional d’Aquitaine. « C’est le calme plat, confie-t-elle. Mais je reste parce que je n’ai pas le choix : je ne suis pas une riche héritière, et mes études m’ont orienté vers le public ». « Les gens restent où ils sont parce qu’ils ne veulent pas se retrouver au chômage, renchérit Judith Tripard. Et, passé un certain temps, se pose la question de l’employabilité : on a l’impression d’être un boulet qui ne sert à rien, ce qui n’est pas très pertinent en entretien d’embauche… »

La crise renforce le tabou

Vécu comme honteux, le bore-out s’avoue encore moins en période de crise avec un chômage à plus de 10 %. « C’est perçu comme une provocation, assure Christian Bourion, professeur à ICN Business School. Les gens ne comprennent pas, ils disent ''de quoi tu te plains, tu te fais passer pour une victime alors que tu as tous les avantages et rien à faire'' ».

Incompris, mal vus, les salariés en proie à ce syndrome, sont priés de ne pas s’épancher. Seule consolation, « l’apparition d’articles sur la question permet de se rassurer : on se sent moins anormal et on se dit qu’on n’est pas les seuls dans ce cas », glisse Aurélie Boullet, qui garde, malgré tout, « l’espoir que [cela] change » dans son secteur.