Projet de loi sur le renseignement: Sera-t-on demain tous surveillés sur Internet?
LIBERTES Le texte qui sera examiné à l’Assemblée à partir du 13 avril inquiète les militants des libertés individuelles...
- Le projet de loi sur le renseignement prévoit des «boîtes noires» pour surveiller le Web en permanence et détecter les terroristes
- Ces dispositifs permettraient de récolter beaucoup d'informations, dont les associations redoutent l'utilisation
- Elles craignent aussi pour la vie privée des internautes
Depuis la présentation du projet de loi sur le renseignement en conseil des ministres le 19 mars, les associations qui défendent les citoyens se posent très sérieusement la question: Sera-t-on demain tous surveillés sur Internet? Présenté comme un ensemble de mesures contre le terrorisme, le texte rognerait en effet largement sur les libertés individuelles, estiment-elles.
Il faut dire que le projet de loi, qui sera examiné par les députés entre le 13 et le 16 avril, «va bien plus loin» que tous les dispositifs précédents, justifie Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net, qui évoque une «NSA du pauvre». Il donne notamment aux agents la possibilité d’intercepter des données en temps réel sur les réseaux des opérateurs, au terme d’une procédure expresse. Mais ils donnent aussi naissance à un système de surveillance permanente du Web par le biais de «boîtes noires».
Un anonymat facile à faire tomber
Installés sur le réseau des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), ces équipements permettraient de «détecter, par un traitement automatique, une succession suspecte de données de connexion». En clair, «ils scanneraient le Web et un algorithme isolerait certains profils, explique Adrienne Charmet. Les services de renseignement pourraient savoir sur quels sites un internaute est allé, à quelles fréquences il s’y est connecté, quand il a envoyé des mails...»
Pour Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur du projet de loi, l’objectif est de démasquer les terroristes, qui «utilisent de plus en plus ces moyens de communication». Une ambition que les détracteurs du texte trouvent évidemment légitime, mais dont ils redoutent qu’elle entraîne la société vers une réduction des libertés. «Nos organisations considèrent qu’il s’agirait là de la mise en place de systèmes de surveillance de masse qui iraient à l’encontre du respect de la vie privée des internautes», écrivent ainsi plusieurs associations dont Amnesty International, Reporters sans frontières et Privacy International.
Sur le papier, l’anonymat des internautes est certes bien garanti. Mais «il est très facile d’identifier quelqu’un en recoupant les données», explique Maryse Artiguelong, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Quant au filtre algorithmique, il manque cruellement de finesse, accuse Adrienne Charmet. «Si vous écrivez des mails à votre frère aîné en Turquie, que votre frère cadet prend des cours de pilotage et que vous chiffrez vos mails, vous devenez un terroriste potentiel», déplore-t-elle.
La peur du terrorisme plus forte?
Une autre décision gouvernementale fait tiquer les militants des droits de l’homme: l’ajout de deux nouveaux motifs à la collecte de données hors de toute procédure judiciaire. Parmi eux, «la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique». «Cela implique donc les organisations politiques, les organisations syndicales et le mouvement associatif», avance Pierre Tartakowsky, président de la LDH. «Sans contre-pouvoir ni garantie, qu’est-ce qui prouve que la surveillance ne va pas être étendue, par exemple à la fraude fiscale ou à la radicalisation politique?» poursuit Adrienne Charmet, qui rappelle les dérives de la NSA, où des agents avaient utilisé notamment la technologie pour espionner leur petite amie.
Face à ces risques, les associations appellent au «sursaut citoyen». Un défi alors que le terrorisme est dans toutes les têtes, trois mois après les attentats de Charlie Hebdo. Interrogés dans le cadre du baromètre Orange-Terrafemina fin février, les Français estimaient ainsi à 57% que la surveillance généralisée des échanges sur Internet était justifiée, même si elle nuit gravement aux libertés individuelles.