Journée mondiale de la procrastination: «Beaucoup d'étudiants sont concernés»

INTERVIEW La psychologue Alexandra Rivière-Lecart revient sur les origines de la procrastination...

Propos recueillis par Nicolas Beunaiche
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Une femme devant la télévision (illustration).
Une femme devant la télévision (illustration). — SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA

Les procrastinateurs du monde entier ont aussi leur journée mondiale. A une date fixe, oui. Chaque 25 mars depuis 2010, les hyperactifs de toute la planète sont invités à avoir une pensée pour leurs voisins ayant tendance à remettre au lendemain ce qu’ils pourraient faire le jour même. Amusant? Pas pour tout le monde. Car la procrastination peut aussi un véritable handicap pour ceux qui en souffrent. La psychologue clinicienne Alexandra Rivière-Lecart en décrypte les mécanismes pour 20 Minutes.

La procrastination est-elle une pathologie?

Non, ce n’est pas une pathologie répertoriée, pas encore en tout cas. Il s’agit d’un trait psychologique qui se traduit dans le comportement: ceux qui en souffrent repoussent tout au lendemain, au point de les handicaper personnellement, professionnellement... Mais elle sera peut-être reconnue un jour. Beaucoup de gens consultent des professionnels pour leur tendance à procrastiner.

Quels sont les ressorts psychologiques qui poussent à procrastiner?

Ils sont très variés. Parmi les patients, on trouve des perfectionnistes, qui ne supportent pas l’idée de faire un travail imparfait et préfèrent s’abstenir que de risquer l’échec. Mais il y a également des personnes anxieuses et leur problème touche alors à l’estime de soi. D'autres craignent que le travail qu’ils vont rendre ne reflète pas la profondeur de leur pensée et ne supportent pas les limites (de temps par exemple). De manière générale, la procrastination est un concept complexe parce qu’elle renvoie à des notions très différentes: certains procrastinateurs voient dans la fin l’idée de la mort, d’autres voient dans l’obligation de faire quelque chose une occasion de jouer avec le cadre et les limites et d’en tirer du plaisir. Derrière le fait de tout repousser au lendemain, il y a aussi chez certains l’espérance que quelque chose leur sauvera la mise, un prof absent qui leur ferait échapper momentanément à un examen par exemple.

Les étudiants, justement, sont les plus grands procrastinateurs…

Oui, beaucoup sont concernés. Ils marchent au plaisir et s’octroient le droit de s’écouter. Ils jouent avec le cadre, les limites, l’autorité, se testent et testent l’autre. Les parents ne leur ont pas toujours appris à finir les choses, ne serait-ce que leur repas, leur année de sport ou un projet. Beaucoup de choses se jouent à l’enfance et à l’adolescence.

La société actuelle favorise-t-elle la procrastination?

Non. La procrastination a toujours existé, c’est juste qu’on ne s’en rendait pas compte et qu’on n’avait pas mis de mot dessus. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que la société devenant plus castratrice et rigide avec toutes ses règles, la procrastination est devenue plus visible. Maintenant, on ne peut pas dire qu’Internet, par exemple, favorise la procrastination. C'est un moyen parmi d'autres de procrastiner. Un individu qui en souffre trouvera toujours mieux à faire que travailler, dans n’importe quel environnement. Un adolescent procrastinateur ne rangera pas spontanément sa chambre, mais il le fera pour éviter de faire ses devoirs.

Comment aidez-vous les patients qui viennent pour voir pour cette raison?

Il n’y a pas de traitement. J’utilise la thérapie cognitive et comportementale (TCC). Je fais faire à mes patients des exercices pour repousser de moins en moins les échéances, je travaille avec eux leurs peurs et leur estime de soi pour qu’ils apprennent à se dire «je suis capable» et nous travaillons enfin sur leurs pensées (les cognitions). Si certains voient dans le fait de repousser quelque chose l’occasion de montrer leur toute-puissance, d’autres y verront le moyen de tester leur capacité à obtenir une faveur de leur patron par exemple. Il faut décrypter tout cela.