Prison: Le délicat retour en France des jeunes partis faire le djihad en Syrie

TERRORISME Les autorités ont décidé d’isoler en prison dans des quartiers spéciaux les Français de retour de Syrie…

Vincent Vanthighem
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La prison de Fresnes le 13 janvier 2015
La prison de Fresnes le 13 janvier 2015 — Matthieu Alexandre AFP

«Si j’avais su, je ne serais jamais revenu…» Karim* a longtemps attendu. Mais, les yeux cernés face à sa mère venue lui rendre visite au parloir de la maison d’arrêt d’Osny (Val d’Oise), le jeune homme a fini par craquer. «Ses conditions de détention sont inhumaines, assure Aïcha*, sa maman. Comme il est considéré comme un terroriste, il a été isolé avec les autres radicaux qui lui mènent la vie impossible…»

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Réveillé tous les quarts d’heure pour «raisons de sécurité», Karim est, selon sa maman, également contraint, par ses codétenus, de prendre systématiquement sa douche en caleçon, par souci de pudeur. «Et je ne vous parle pas de ce qu’ils lui ont dit quand il a demandé à avoir la télévision dans sa cellule…», poursuit Aïcha.

Karim n’a pourtant pas le profil d’un djihadiste en puissance. «Il bossait, il avait une copine, il fumait même des joints!, raconte Aïcha. Il est parti en Irak sur un coup de tête parce qu’il était paumé. Mais il n’y a même pas passé un mois…» Suffisant pour que les autorités le cueillent à sa descente d’avion et le place en détention depuis neuf mois pour «association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme».

180 détenus pour des faits de terrorisme islamiste

Selon les chiffres transmis à 20 Minutes par le ministère de la Justice, ils étaient, fin février, 315 à être détenus dans les prisons françaises pour les mêmes raisons, dont 180 pour des projets de terrorisme en lien avec des filières islamistes. Et seuls 25 d’entre eux avaient déjà fait de la prison précédemment. Une goutte d’eau sur les 66.000 prisonniers que compte l’Hexagone.

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Mais un chiffre suffisamment important pour que le gouvernement prenne des mesures spéciales, deux mois après l’attentat contre Charlie Hebdo. Lancée par le directeur de la prison de Fresnes (Val-de-Marne) en décembre, l’expérimentation d’isolement des détenus radicaux dans des quartiers spéciaux a été étendue à cinq établissements dans toute la France. Le principe étant qu’ils n’embrigadent pas d’autres prisonniers détenus, eux, pour des affaires de droit commun.

Des bombes à retardement?

«La prison n’est vraiment pas le lieu pour les jeunes paumés qui sont partis sur un coup de tête en Syrie», critique Sonia Imloul, directrice de la Maison de la prévention et de la famille en Seine-Saint-Denis. Adossée au numéro vert mis en place par le gouvernement, cette structure œuvre pour éviter que de jeunes Français ne rejoignent les rangs de Daesh et vient en aide à ceux qui ont déjà franchi le pas.

«Nous plaidons pour l’ouverture de centres spéciaux qui prendraient en charge ces jeunes au profil spécial, poursuit Sonia Imloul. Cela se fait par exemple au Danemark. Pourquoi pas en France?» Car les politiques y sont opposés. Président de la commission d’enquête sur les filières djihadistes, le député UMP Eric Ciotti a indiqué à Paris-Match qu’il n'y était pas favorable après avoir visité les centres danois. «Ce n’est pas la solution qui va régler tous les problèmes.»

Pourtant, l’expérience française laisse également plusieurs experts dubitatifs. «C’est très difficile de savoir si c’est la bonne méthode. On verra bien», indique ainsi un responsable de l’Association des victimes de terrorisme. Au cabinet de Christiane Taubira, la garde des Sceaux, on se montre tout aussi prudent. «Isoler les détenus est une idée. Reste à voir si on ne va pas fabriquer des bombes à retardement qui éclateront dans cinq ou dix ans…»

*Les prénoms ont été changés