Attaque à «Charlie Hebdo»: «La France se sentait divisée, nous assistons à sa réunification»

INTERVIEW Le sociologue Jean-François Dortier revient sur la mobilisation massive des citoyens à la suite de l'attentat...

Propos recueillis par Céline Boff
Strasbourg le 7 janvier 2015. Charlie Hebdo. Rassemblement en hommage au journal satirique Charlie Hebdo. Strasbourg
Strasbourg le 7 janvier 2015. Charlie Hebdo. Rassemblement en hommage au journal satirique Charlie Hebdo. Strasbourg — G. Varela \ 20 Minutes

La France est en deuil et elle se recueille. Mercredi soir, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées spontanément, sur les places des villes et des villages français, pour rendre hommage à Charlie Hebdo. Le sociologue Jean-François Dortier, directeur et fondateur du magazine Sciences humaines, revient pour 20 Minutes sur ces rassemblements.

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Des milliers de personnes se sont spontanément rassemblées partout en France, hier soir. Comment expliquer un tel besoin d’être ensemble?

Parce que la France a été frappée au cœur. Le peuple est horrifié. Cet attentat a touché le pays bien au-delà des lecteurs de Charlie Hebdo ou des amateurs de presse. D’ailleurs, peu de voix s’élèvent contre ce mouvement massif, spontané et sincère, et les rares qui se réjouissent ne sont pas audibles.

Il n’y avait pas eu de mobilisation similaire lors de l’affaire Mohamed Merah. Qu’est ce qui est différent cette fois?

L’affaire Merah avait suscité l’indignation générale mais elle n’avait effectivement pas généré un tel soulèvement populaire. Cette fois-ci, c'est différent: les terroristes ont touché au plus profond de l’identité de la France, à ses valeurs, celles de la liberté de la presse, de la liberté d’expression, de la démocratie, de la laïcité.

Et puis, les assaillants ont assassiné des personnes connues. Même si les Français ne défendent pas tous les idées de Charlie Hebdo, Cabu, Charb et Wolin étaient des symboles de l’humour français, de l’esprit de rigolade à la française. Ils étaient des provocateurs, mais des provocateurs sympathiques et des pourfendeurs des élites et des curés… C’est l’esprit gaulois qu’on a assassiné, cet humour à la fois impertinent, gras et grossier.

Nombre de citoyens disent: «Ces terroristes ont voulu mettre la France à genoux, ils l’ont en fait mise debout». Qu’en pensez-vous?

Aujourd’hui, certains pleurent, d’autres n’arrivent pas à se concentrer, tout le monde a du mal à travailler… Le choc émotionnel entraîne le besoin de parler, d’envoyer des messages, de se rassembler, de se recueillir. Cette envie de se retrouver va au-delà des clivages politiques et sociaux habituels. C’est toute une nation qui se ressoude, qui fait bloc, qui fait corps.

La France se sentait divisée, nous assistons à sa réunification. D’un coup, les citoyens se rassemblent contre un ennemi commun –le terrorisme- et derrière leur chef, François Hollande. Cet acte terroriste va aider François Hollande, comme il avait aidé Georges Bush après le 11-Septembre.

Justement, pensez-vous que cette attaque soit «notre 11-Septembre»?

L’attentat contre Charlie n’a évidemment pas la même dimension, même s’il a tout de même fait 12 morts. Mais il suscite la même réaction: la volonté de se ressouder face à un ennemi commun et invisible. Pour l’instant, les citoyens sont encore submergés par l’émotion et puis, ils vont faire leur deuil. Dans une semaine, la vie commencera à reprendre le dessus. Pour les médias, ce sera plus long

En matière politique, la cote de popularité de François Hollande va remonter à court terme, mais je ne vois pas de véritables conséquences à long terme. Hollande ne peut pas, comme George Bush, partir en guerre contre l’axe du mal… Car le mal vient de chez lui, ce sont deux Français qui ont commis ces actes de terreur.