Urbanisme: Des villes faites pour les garçons plutôt que les filles?
AMENAGEMENT Yves Raibaud, chercheur au CNRS, explique que l’espace urbain n’est pas encore pensé en matière d’égalité hommes-femmes…
Certaines changent de trottoir à la nuit tombée. D’autres optent pour les chaussures plates pour pouvoir sprinter. Quand ce n’est pas carrément l’option bombe lacrymogène qui est privilégiée. Dans les villes françaises, rares sont les femmes qui se déplacent sans prendre quelques précautions. Cette tendance a récemment été traduite dans une étude sur l’espace urbain et le genre, menée par Yves Raibaud, géographe affilié au CNRS et Magalie Bacou, sociologue associée au laboratoire Certop (Centre d’étude et de recherche Travail, organisation, Pouvoir). Autour des agglomérations de Bordeaux et Toulouse, ils ont procédé à un inventaire exhaustif de tous les centres culturels et sportifs qu’ils ont croisé avec la variable «sexe».
Il en résulte un état des lieux de la mixité des jeunes dans les villes et quelques conclusions alarmantes: Deux tiers des loisirs bénéficient d’abord aux garçons selon le scientifique. «L’idée n’est pas de dire qu’il y a des loisirs pour garçons et d’autres pour les filles. Mais bien de constater que dans les faits, ceux-ci sont majoritairement pris d’assaut par les garçons.» Il invite donc à se demander comment développer la mixité et déconstruire le modèle actuel. Certaines activités sont plus spontanément mixtes (musique, théâtre), d’autres basées sur la séparation des sexes (football, rugby). Rien n’empêche les éducateurs d’inverser les codes, mais la ville n’offrirait pas forcément le cadre idéal pour ces changements.
L’exemple à suivre: Montréal
Pour Yves Raibaud, plusieurs messages à destination des politiques ressortent de cette étude. «Est-ce qu’on peut continuer à dépenser trois fois plus pour les garçons que pour les filles, comme c’est le cas dans certaines villes?» D’autant que les activités pratiquées majoritairement par les garçons coûteraient plus cher que celles des filles (l'étude évoque le coût des terrains de sport, des skate park). «On ne parle pas des pratiques préférées, mais bien du nombre d’inscrits par sexe.» Pour lui, la solution passe par une sensibilisation des maires plus importantes, deux mois après les résultats des Municipales.
Plusieurs d’entre eux ont déjà signé des chartes sur l’égalité hommes femmes. Ils sont aussi invités à suivre l’éventail de bonnes pratiques établi dans le rapport parlementaire de juillet 2013 sur le sujet. A Bordeaux, quelques semaines après la publication de l’étude, des éclairages ont été ajoutés sous un pont assimilé à un lieu hostile pour les femmes. Dans ce domaine, l’exemple à suivre serait celui de Montréal où certains bus sont autorisés à s‘arrêter entre deux arrêts pour déposer une femme chez elle. A Tokyo, des rames de métro leur sont aussi réservées (sans être interdites aux hommes), tandis que Londres a mis en place les «taxis roses», dédiés au public féminin.
Marcher en ville, ni trop vite, ni trop lentement
«Quand on observe les itinéraires des femmes en ville, on voit qu’elles craignent avant tout de stationner, poursuit Raibaud. On pourrait les aborder. Elles sont donc plus souvent en déplacement.» Leur vitesse de marche a aussi été étudiée. Ni trop rapide, pour ne pas extérioriser une crainte. Ni trop lente, pour ne pas aguicher. «Il s’agit d’être invisible» déplore le géographe, pour qui le climat d’insécurité n’est pas la cause mais la conséquence de ces inégalités. Si les filles ne sont pas encouragées à sortir, elles resteront une position de retrait. Et la rue restera la seigneurie des hommes.