Bernard Dargols, l'ex-GI français qui bataille contre l'oubli
Son histoire a inspiré celle du GI virtuel Louis Castel créé sur les réseaux sociaux par le Mémorial de Caen. Militant jovial contre l'oubli et le négationnisme, le Français Bernard Dargols a débarqué à 24 ans, en Normandie, sous la bannière américaine, le 8 juin 1944.
«Louis Castel est une bonne idée comme tout ce qui peut servir à faire comprendre aux jeunes que la guerre (...) les camps de concentration, c'est pas de la rigolade, c'est pas un film d'Hollywood», pense ce vétéran, parti en 1938, à 18 ans, pour un stage outre-Atlantique, avant de s'engager dans l'armée américaine après la poignée de main entre Hitler et Pétain en octobre 1940.
L'ex-GI qui arbore sur son pull l'Indian Head (tête d'indien), emblème de sa division, espérait toutefois pour Louis Castel plus que les quelque 21.450 «amis» sur Facebook.
«Entre les deux guerres on s'attendait pas à ce que ça recommence (...)», avertit cet homme d'origine juive qui a perdu un oncle et une tante dans les camps de concentration et dont la mère est restée à Paris pendant la guerre.
«Aujourd'hui il y a des rappels d'antisémitisme qui se font jour (...) Je voudrais que les jeunes se révoltent», explique à l'AFP, l'ex GI préoccupé par le négationnisme.
En 1940, ce parisien n'a pas hésité à s'engager «par dégoût de la dictature». Il va voir le représentant de Gaulle à New York, réfléchit. Ses amis lui suggèrent l'armée américaine qu'il finit par rejoindre. Le futur franco-américain ne sait pas encore que cela lui permettra de revenir en France où son bilinguisme sera un atout précieux.
- on m'appelait «Libérateur»-
«Je ne connaissais pas de Gaulle. Je savais seulement qu'il avait été secrétaire d'Etat à la guerre et qu'il s'entendait mal avec Churchill et Roosevelt», a écrit pour lui sa petite fille Caroline Jolivet dans «Bernard Dargols, un GI français à Omaha Beach», après plusieurs années d'enquête et d'entretiens.
Du général, Bernard Dargols salue aujourd'hui le «courage» mais il en garde encore une opinion «mitigée».
Plus prompt à faire rire qu'à apitoyer son assistance, Bernard Dargols a pendant plusieurs heures répondu aux questions des journalistes et du public lundi 5 mai au Mémorial de Caen avant de souffler ses 94 bougies.
Le vétéran souligne «les horreurs de la guerre», évoque sa «peur au ventre», notamment lorsqu'il est envoyé pour la première fois en mission de reconnaissance, seul avec un policier militaire, à Formigny dans un village à quelques km d'Omaha.
Un rôle qui lui a permis de ne tuer personne et «d'éviter des bombardements inutiles» dans cette guerre «qui a tué plus de civils que de militaires», poursuit-il.
Dans le livre paru en 2012 aux éditions Ouest-France, sa petite fille âgée aujourd'hui de 35 ans, raconte pour lui la longue attente avant le Débarquement, l'inquiétude pour sa famille, la traversée sans escorte vers l'Angleterre, et puis le 8 juin «l'angoisse» qui «décuple», «le bruit assourdissant des bombardements». «Certains GIs tombaient à l'eau. Par quel miracle allais-je réussir à parcourir ces derniers mètres (avant la plage, ndlr) (...) Si le Liberty Ship avait eu une marche arrière rapide, je crois que j'aurais demandé à ce qu'on l'actionne» lit-on.
Quelques longues heures plus tard, à bord de sa jeep estampillée «la Bastille», il retrouve sa terre natale après six ans d'absence et ses habitants qui en croient à peine leurs oreilles: «Quelle émotion pour moi d'entendre parler français, d'être pris dans les bras par des gens beaucoup plus âgés que moi qui m'appelaient libérateur», raconte-t-il.
«Si j'avais gardé toutes les bouteilles de Calva qu'on m'a données je crois que j'aurais pu ouvrir une épicerie fine!» plaisante ce bon vivant qui a repris la boutique de machine à coudre de son père après la guerre.