Serge Blisko: «Internet est devenu un facilitateur pour les sectes»

Vincent Vanthighem
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Serge Blisko
Serge Blisko — IBO / SIPA

«C’est un formidable outil pour la liberté d’expression…» Président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), Serge Blisko reconnaît, sans difficulté, les avantages liés au développement d’Internet et des réseaux sociaux. Mais il s’en inquiète aussi beaucoup. Depuis quelques années, il assiste à la propagation des dérives sectaires sur la toile. Un phénomène qu’il compte aborder, ce week-end, à l’occasion d’un colloque sur l’emprise mentale (lire l'encadré) avant d’en faire, en 2014, le thème principal de son rapport annuel.

En quoi Internet favorise-t-il le développement des dérives sectaires?

Tout le monde est au même niveau sur Internet. L’éminent professeur d’université ou le premier zozo venu. C’est un formidable outil pour la liberté d’expression. Mais cela exige de l’internaute qu’il sache faire le tri entre les bonnes et les mauvaises informations. Certains mouvements l’ont bien compris. On peut dire qu’Internet est devenu un facilitateur pour les sectes.

Pouvez-vous donner un exemple?

Dans le domaine de la santé par exemple. Il y a un site du ministère de la Santé qui informe sur la vaccination. Quels vaccins? Quand les administrer? Les mettre à jour? Et bien, sur la toile, on peut aussi trouver le site d’un pseudo médecin qui va, à longueur de posts, expliquer que les vaccinations sont dangereuses. Le problème, c’est que les deux informations sont à la même hauteur. Parfois même, grâce au référencement, les sites de contre information sont accessibles plus facilement que les sites d’information.

Il y a des gourous traditionnels qui prêchent sur la toile?

Non, il y en a peu ou pas. Car les gourous ont toujours besoin du contact physique pour placer quelqu’un sous leur emprise. En revanche, Internet sert aux mouvements à hameçonner les gens via les forums de discussion et les réseaux sociaux.

Comment cela se passe-t-il?

Toujours de la même manière. Sur les forums, les mouvements sectaires vont repérer la personne qui en situation de difficulté. Ils vont commencer par échanger avec elle, la rassurer. Puis de fil en aiguille, ils vont l’inviter à participer à une conférence. La première est souvent gratuite. La seconde, en revanche, est beaucoup plus chère…

Vous souvenez vous d’un cas en particulier?

Nous avons reçu à la Miviludes un jeune homme qui s’inquiétait pour sa copine. Sur un forum, elle avait été approchée par un mouvement. Elle a été invitée à participer gratuitement à une première réunion des crânes. Chaque participant devait ramener un crâne pour expulser ses soucis. A la fin, le mouvement lui a conseillé de participer à un stage en campagne sur un week-end qui, lui, était très cher…

Où en est la menace sectaire aujourd’hui en France?

Nous recevons environ 3.000 signalements chaque année. C’est en progression constante de 20% par an. Cela inclut des plaintes liées à des grands mouvements mais aussi des inquiétudes légitimes de parents ou de proches. On assiste aujourd’hui à un éparpillement des dérives. Avant, nous avions à faire à quelques grands mouvements très structurés et organisés. Aujourd’hui, les petits mouvements pullulent et rend notre travail de vérification complexe. Aujourd’hui, quatorze professionnels s’occupent, dans tous les domaines, de vérifier les signalements que nous recevons.

«L’emprise mentale au cœur de la dérive sectaire»

Le colloque organisé par la Miviludes se tient à la salle de conférence Pierre Laroque, samedi 23 novembre, de 9h à 17h. Non ouvert au public, il sera clôturé par Manuel Valls. Le ministre de l’Intérieur prendra la parole sur le thème des sectes pour la première fois depuis son arrivée Place Beauvau.