La «Marche des Beurs»: Trente ans plus tard, déluge de commémorations

COMMEMORATION Les 30 ans de la Marche pour l'égalité, dite «Marche des Beurs», donne lieu à une avalanche commémorative...

20 Minutes avec AFP
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Le 3 décembre 1983, 100.000 personnes accueillaient à Paris la "Marche pour l'égalité et contre le racisme". Rebaptisée "Marche des Beurs", elle a marqué l'entrée sur la scène politique des enfants d'immigrés qui, 30 ans plus tard, dressent un bilan mitigé de leur "Mai 68".  
Le 3 décembre 1983, 100.000 personnes accueillaient à Paris la "Marche pour l'égalité et contre le racisme". Rebaptisée "Marche des Beurs", elle a marqué l'entrée sur la scène politique des enfants d'immigrés qui, 30 ans plus tard, dressent un bilan mitigé de leur "Mai 68".   — Dominique Faget AFP

Un film avec Jamel Debbouze, un tour de France, des livres, des expos... Les 30 ans de la Marche pour l'égalité, dite «Marche des Beurs», donne lieu à une avalanche commémorative qui contraste avec la tiédeur de ses 10e et 20e anniversaires.

Une histoire extraordinaire, mais qui a laissé peu de souvenirs

Le 15 octobre 1983, sur fond de tensions entre jeunes des cités et  policiers, une douzaine d'enfants d'immigrés et de militants  antiracistes quittaient Marseille pour réclamer l'égalité des droits.  Deux mois et un millier de kilomètres plus tard, ils étaient accueillis à  Paris par 100.000 personnes.

«L'histoire est extraordinaire, estime Nabil Ben Yadir, réalisateur  du film La Marche qui sortira le 27 novembre: des jeunes de banlieue  décident d'organiser une marche après avoir vu un film sur Gandhi et  partent à la rencontre d'une France qui ne les connaît pas.»

Très médiatisée à l'époque, leur initiative a disparu des esprits.  Peu d'événements ont marqué ses 10 et ses 20 ans et aujourd'hui seuls  deux Français sur dix s'en rappellent, une proportion qui tombe à un sur  dix chez les plus jeunes.

Acte de naissance politique des descendants d'immigrés

Cette année, une conjonction de facteurs font cependant ressurgir l'événement, considéré comme l'acte de naissance politique des descendants d'immigrés.

D'abord, le long métrage a servi de locomotive. «Il a accéléré les  choses en multipliant la couverture médiatique», estime le père  Christian Delorme, un des marcheurs historiques qui témoigne de cette  épopée dans la Marche (Bayard).

Ensuite, la gauche est à nouveau au pouvoir et «considère la mémoire  des quartiers et de l'immigration comme une dimension de la politique de  la Ville», rappelle le sociologue Abdellali Hajjat, qui publie  l'ouvrage le plus documenté (La Marche pour l'égalité et contre le  racisme, Amsterdam).

Le gouvernement a d'ailleurs lancé un appel à projets pour le 30e  anniversaire et débloqué 455.000 euros pour financer 70 actions  commémoratives (colloques, spectacle chorégraphique, édition spéciale de  magazine...).

«Il s'agit de rappeler l'histoire mais aussi de réfléchir sur  l'intégration», explique le ministre délégué à la Ville, François Lamy  qui, jeune homme, avait accueilli la marche à Paris. «En 30 ans, une  classe moyenne issue de l'immigration a émergé mais elle continue à se  heurter à un plafond de verre.»

Message d'espoir

 Par ailleurs, certains acteurs historiques sont sortis de l'ombre, à commencer par Toumi Djaïdja.  En juin 1983, blessé par la police, il avait décidé avec d'autres  jeunes des Minguettes, une cité près de Lyon, d'organiser cette marche  pacifique pour désamorcer le cycle de violences.

Après le succès de la marche, lui et les autres marcheurs  historiques, peu aguerris au militantisme politique, s'étaient effacés.  SOS Racisme, créé en 1984, avait vite rempli le vide, capitalisant sur  le mouvement de sympathie né pendant la marche.

Aujourd'hui SOS Racisme n'est plus que l'ombre d'elle-même et Toumi  Djaïdja publie un entretien avec le sociologue Adil Jazouli (La Marche  pour l'Egalité, éditions l'Aube) pour éviter de «nouvelles  récupérations».

Lui, souhaite que le 30e anniversaire serve de «message d'espoir».  Certes, les discriminations perdurent mais, selon lui, l'histoire de la  marche appelle les jeunes à se mobiliser. «Il ne faut pas qu'ils tombent  dans un discours victimaire, dit-il. Les bourreaux raffolent des  victimes.»

Même motivation du côté du collectif AC Le FEU, né après les émeutes  de 2005, qui organise une «caravane de la mémoire» (quinze étapes en  deux mois) pour transmettre l'histoire et inciter les jeunes à  s'investir, notamment en votant «pour faire barrage au FN».

D'autres  associations de quartiers se sont emparées de l'événement avec ici et  là une rencontre-débat, une expo-photo, la projection d'un  documentaire...

«En 2003, Jean-Pierre Raffarin avait organisé une cérémonie mais rien  n'était venu de la base. Pourquoi est-ce différent aujourd'hui?»  s'interroge M. Jazouli. «Sincèrement, je n'en sais rien».

«Est-ce que ça a un rapport avec le Front national qui monte, avec  des discours à la limite du racisme dans la bouche d'élus de partis  démocratiques?», avance le réalisateur Nabil Ben Yadir. «Dans ce  contexte, parler de cet événement devient un acte citoyen».