Non-lieu de Sarkozy: Les doutes des juges au grand jour

JUSTICE Les attendus de l'ordonnance montrent que les juges n'ont pas été convaincus de l'innocence de Nicolas Sarkozy, mais ont uniquement renoncé aux poursuites faute de «charges suffisantes»...

20 Minutes avec AFP
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Le juge Jean-Michel Gentil, photographié le 19 février 2013 à son arrivée au tribunal de Bordeaux.
Le juge Jean-Michel Gentil, photographié le 19 février 2013 à son arrivée au tribunal de Bordeaux. — PATRICK BERNARD / AFP

Un non-lieu du bout des lèvres. Si les juges d'instruction bordelais qui ont délivré lundi un non-lieu à Nicolas Sarkozy dans l'affaire Bettencourt  l'ont fait faute de «charges suffisantes», les attendus de l'ordonnance  prouvent également qu'ils l'ont fait «comme à regret», pour reprendre  l'expression d'un proche du dossier cité par l'AFP.

Selon ces documents dont l'AFP a eu connaissance, les juges bordelais  Jean-Michel Gentil et Valérie Noël ont bâti une démontration en quatre  points, concluant à un non-lieu, mais maintenant tout de même que  Nicolas Sarkozy a essayé par «un comportement abusif» d'obtenir de  l'argent de Liliane Bettencourt.

Un quatrième point qui sauve Sarkozy

Premier point, Nicolas Sarkozy «avait connaissance de l'état de  vulnérabilité particulièrement apparent de Mme Bettencourt»,  estiment-ils. Deuxièmement, «il s'est présenté au domicile d'André et  Liliane Bettencourt deux fois» au début de l'année électorale 2007, et  non une comme il l'a prétendu, soit les 10 et 24 février 2007.  Troisièmement, «le rendez-vous du 24 février avait pour objet d'obtenir  un soutien financier de Liliane Bettencourt».

Le quatrième point sauve l'ex-chef d'Etat: «Il n'existe pas de  charges suffisantes établissant un lien direct entre le comportement  abusif de Nicolas Sarkozy et les actes préjudiciables consentis par  Liliane Bettencourt de mise à disposition d'espèces». Ces mises à  disposition ont pris la forme de rapatriements d'argent liquide des  Bettencourt depuis la Suisse par leur homme de confiance Patrice de  Maistre. Il y en a deux de 400.000 euros, le 5 février et le 26 avril  2007.

De nombreux doutes

«Il n'est pas démontré, écrivent les juges, que ce soit la demande de  Nicolas Sarkozy du 24 février 2007 (...) qui a conduit Liliane  Bettencourt aux actes gravement préjudiciables auxquels elle a consenti  de mise à disposition, notamment à celui de 400.000 euros du 26 avril  2007, puisque la responsabilité en incombe à Patrice de Maistre et que  celui-ci avait déjà obtenu un premier acte de mise à disposition le 5  février 2007, avant la visite de Nicolas Sarkozy.»

Les juges remarquent aussi qu'il «n'est pas établi que Patrice de  Maistre ait entièrement redistribué» les espèces reçues le 26 avril  2007. Liliane Bettencourt avait manifesté ses doutes à ce sujet auprès  de son ami et confident, l'artiste François-Marie Banier, lui aussi  poursuivi dans l'affaire, comme Patrice de Maistre.

Quant à l'ancien ministre et ex-trésorier de campagne Eric Woerth,  les juges considèrent qu'il a «bénéficié à deux reprises de sommes  d'argent qui lui ont été remises par Patrice de Maistre», début 2007, en  l'occurrence 50.000 euros puis «une somme indéterminée». Les juges  estiment établi que l'ancien ministre «avait connaissance de leur  origine frauduleuse», mais se gardent de dire à quelle infraction  correspondait «le recel» pour lequel ils le renvoient devant le  tribunal.

Une conférence de presse attendue

Un renvoi pour recel d'abus de faiblesse serait périlleux dans la  mesure où Woerth connaissait à peine Liliane Bettencourt. Les juges font  une digression juridique dans laquelle ils démontrent qu'il n'est pas  indispensable d'établir que le receleur a une connaissance complète de  l'infraction dont provient le bien recelé. «Eric Woerth a accepté à deux  reprises des sommes en espèces provenant d'un circuit financier  manifestement illicite mis en place par Patrice de Maistre et il importe  peu qu'il n'ait pas connu le détail des circonstances de la commission  du délit d'où provenaient fonds recelés».

Le parquet de Bordeaux avait requis six non-lieux sur les douze mises  en examen, notamment pour Woerth et Sarkozy. Fera-t-il appel pour  Woerth? Le procureur de Bordeaux Marie-Madeleine Alliot pourrait se  prononcer sur cette question mardi matin lors d'une conférence de  presse.