Mariage pour tous: un retour en arrière est-il possible?

MARIAGE POUR TOUS Les constitutionnalistes sont divisés sur la possibilité de revenir légalement sur la loi en cas d'alternance, même si tous jugent l'hypothèse peu vraisemblable...

20 Minutes avec AFP
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Des partisans du «mariage pour tous» à Paris, le 23 avril 2013.
Des partisans du «mariage pour tous» à Paris, le 23 avril 2013. — PRM/SIPA

Depuis la promulgation de la loi, l'UMP n'en finit plus de se diviser sur l'attitude à adopter sur ce texte en cas d'alternance en 2017. Face aux partisans d'une abrogation pure et simple de la loi et son remplacement par une union civile défendue par Christine Boutin, Hervé Mariton ou Guillaume Peltier, le président du premier parti d'opposition Jean-François Copé suggère de réécrire le texte pour protéger la filiation et les droits de l'enfant. Pour leur part, Luc Chatel, Nathalie Kosciusko-Morizet ou Valérie Pécresse ont jugé tout retour en arrière peu probable, voire impossible.

Mais, au-delà des postures politiques, sera-t-il possible légalement de revenir sur ce texte ? «Une chose est sûre, les mariages et les adoptions qui auront été conclus seront protégés et il sera impossible de revenir dessus au regard de la "non-rétroactivité" et de la "stabilité des situations juridiques"», ont assuré à l'AFP les constitutionnalistes Dominique Chagnollaud, Didier Maus, Dominique Rousseau et Guy Carcassonne.

«Ce que fait une loi, une autre loi peut le défaire»

Les quatre professeurs de droit se montrent en revanche plus divisés sur les conditions d'une éventuelle abrogation de la loi. «Une modification du mariage vers une union civile est possible», assure Dominique Chagnollaud. «Rien ne s'y oppose juridiquement», selon lui. «Il y a des tas de situations juridiques où des gens, régis par un système ancien conservent leurs droits et d'autres, dans un système nouveau, ont des droits retranchés. Cela ne pose aucune difficulté», assure cet universitaire.

«Ce que fait une loi, une autre loi peut le défaire», abonde Didier Maus. «On peut même faire dans la dentelle, c'est-à-dire maintenir le mariage mais modifier les règles sur l'adoption», déclare-t-il. «Le seul problème constitutionnel posé, c'est le principe qu'une nouvelle loi ne doit pas diminuer les droits constitutionnels existants. Mais, en l'état, la décision du Conseil ne dit pas qu'il y a un droit constitutionnel attaché au mariage de personnes de même sexe», juge-t-il. «La seule chose, c'est qu'en cas d'abrogation, les couples qui se verraient refuser le mariage pourraient aller devant la Cour européenne des droits de l'homme qui pourrait condamner la France sur le fondement de l'égalité», fait-il valoir, en précisant que cela serait sans doute moins plaidable si la nouvelle loi supprimait «le symbole mariage» mais conservait les droits qui s'y attachent (droit de succession, pension de réversion, etc).

«En matière de liberté, le char de l'Etat n'a pas de marche arrière»

A l'opposé de ses confrères, Dominique Rousseau estime difficile de revenir sur le texte: «Il n'y aurait qu'une seule voie pour cela, c'est de soumettre son abrogation au référendum, car les lois votées par référendum ne sont pas, selon la jurisprudence, contrôlées par le Conseil constitutionnel», dit-il. «S'il n'y a pas de référendum, la nouvelle loi sera transmise au Conseil qui vérifiera qu'elle ne porte pas atteinte aux droits et libertés garanties par la Constitution. Or, il ne pourra admettre une réécriture du texte que si elle garantit les mêmes droits, adoption comprise, aux couples homosexuels que la loi Taubira», fait-il valoir. Mais pour cela il faudra, selon Dominique Rousseau, changer la Constitution au préalable, car «son article 11 exclut pour l'instant les matières civiles du domaine possible des référendums».

Guy Carcassonne estime lui aussi qu'un retour en arrière «ne va pas de soi». «Le Conseil constitutionnel pourrait s'y opposer selon +la jurisprudence du cliquet+, qui estime qu'en matière de liberté acquise le char de l'Etat n'a pas de marche arrière» explique-t-il ,en pointant également un risque de condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme. Mais, indépendamment du point de vue de chacun, les quatre juristes s'accordent à juger une abrogation de la loi peu probable politiquement. «Il n'y a jamais eu de retour en arrière sur les réformes de société depuis la Libération», souligne Didier Maus.