Enjoliver son CV, un «sport national» français

SOCIETE Améliorer son CV au prix de petits mensonges est devenu, selon les experts, une habitude en France, où le diplôme est roi et le chômage en hausse...

20 Minutes avec AFP
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Une femme regarde les instructions pour faire un CV à Pôle Emploi le 28 juillet 2011.
Une femme regarde les instructions pour faire un CV à Pôle Emploi le 28 juillet 2011. — PHILIPPE HUGUEN/AFP

Faux  diplômes, postes jamais occupés, compétences  linguistiques exagérées: enjoliver, voire falsifier son CV est devenu,  selon des experts, un «sport national», dopé par le culte hexagonal du  diplôme et un chômage record. Un phénomène qui traduit aussi une «banalisation» des petits mensonges. Le  cas du Grand rabbin de France, Gilles Bernheim, contraint à la  démission en avril après s'être inventé une agrégation de philosophie,  n'est que  la face émergée de l'iceberg. Et le dernier d'une série de cas  médiatiques. En  septembre 2012, c'est l'ex-directeur de l'aéroport de Limoges qui était  condamné à un an de prison ferme pour avoir, notamment, produit un faux  diplôme d'aéronautique. Si  les grands faussaires restent rares, les tricheries au CV sont «sans  doute particulièrement importantes en France du fait du rôle de critère  couperet  que joue le diplôme», analyse Yannick Fondeur, chercheur au Centre  d'études sur l'emploi.

En  plus d'une concurrence exacerbée par l'envolée du chômage, le boom du  recrutement automatisé par internet, qui fonctionne par niveaux de  diplôme  et d'expérience, accentue le phénomène. «Cela exclut des gens qualifiés  et les incite à tricher un petit peu» pour passer les filtres, selon le  sociologue. Pour  décrocher un stage dans l'entreprise qui l'a finalement embauché,  Vincent a transformé son CAP en Bac. «Sinon, ils ne m'auraient pas donné  ma  chance. Et puis il n'y a aucun risque qu'ils vérifient», explique-t-il  serein. «En  France, le niveau d'exigence est tel que le candidat, s'il s'estime en  phase avec l'offre, en rajoute un peu pour aller à l'entretien»,  témoigne  Laurent Hürstel, directeur associé du cabinet de recrutement Robert  Walters. «On  ne voit pas ça sur le marché anglo-saxon: là-bas, on le laisse faire  ses preuves et, si ça ne marche pas, il est dehors trois mois plus tard.  C'est violent, mais au moins ça laisse une chance», juge-t-il.

«Crise profonde des valeurs»

Quelle  est la proportion de faux CV ? Yannick Fondeur, qui juge le phénomène «réel», met en garde quant aux rares données disponibles «émanant de  cabinets de recrutement qui ont tout intérêt à gonfler le phénomène». Selon  l'étude 2013 de l'institut Florian Mantione, qui s'intéresse au sujet  depuis 1989, 75% des CV seraient «trompeurs» (intitulé volontairement  flou ou diplôme carrément inventé, exagération sur les postes occupés  précédemment, durée des contrats étirée ou encore compétences  linguistiques exagérées). Neuf candidats sur dix trouveraient normal «d'arranger» leur cursus. Principaux arguments cités: la  concurrence exacerbée» et «le risque minime». Pour  M. Mantione, cette pratique est devenue en France «un sport national».  Il souligne qu'en Allemagne, les CV, qui comportent plusieurs pages,  sont  souvent assortis des copies des diplômes et certificats de travail.

Or  selon une étude de 2011 du cabinet Robert Half, seuls 20% des  employeurs hexagonaux contrôlent systématiquement les références, alors  qu'à peine  54% jugent les CV fiables. «Contrairement  aux pays anglo-saxons, où on contrôle beaucoup, demander de prouver  quelque chose dans les pays latins est malvenu», relève Emmanuel  Chomarat, fondateur de Verifdiploma, qui examine la véracité des  diplômes des candidats pour le compte de grandes entreprises. «Au début, on nous disait, "c'est 39-40, les collabos sont de retour!"», raconte-t-il. Parmi  les CV vérifiés par son entreprise, un sur quatre comporte de faux  diplômes, «dans tous les secteurs d'activité et à tous les niveaux :  bac+2  comme doctorants». Pour  le sociologue Michel Fize, cette banalisation des petits mensonges  révèle une «crise profonde de la morale et des valeurs», sous prétexte  que «la fin justifie les moyens» et que «ce qui est faisable est légal». «On  se dit : "Je peux bidouiller mon CV, alors pourquoi je ne le ferais  pas?". On ne pense pas qu'on peut pénaliser quelqu'un qui, lui, aurait  été  honnête. Les enquêtes sur les étudiants le montrent : la tricherie aux  examens est dédramatisée, et ne génère plus de honte», dit-il. Et de s'interroger: «Comment remettre les valeurs à leur place quand on a le spectacle permanent d'affaires du type Cahuzac»?