« “Aspergirl” m’a fait me questionner sur la notion de norme », raconte Nicole Ferroni
INTERVIEW Nicole Ferroni incarne, dans « Aspergirl » ce jeudi sur OCS, une mère atteinte de trouble du spectre de l’autisme
- OCS Max diffuse ce jeudi à 21 heures Aspergirl, une dramédie sur l’autisme.
- Nicole Ferroni y incarne Louison, une mère célibataire récemment séparée, à qui on diagnostique un trouble du spectre autistique (TSA) en même temps que celui de son fils de 11 ans.
- La comédienne a raconté à 20 Minutes son expérience sur ce tournage lors de l’édition 2023 du festival Séries Mania.
Une fable qui fait rire, mais aussi réfléchir ! Aspergirl, nouvelle série OCS signature met en scène la piquante Nicole Ferroni dans le costume de superhéroïne de Louison, 38 ans, mère célibataire récemment séparée, à qui on diagnostique un trouble du spectre autistique (TSA) en même temps que celui de son fils de 11 ans. À l’occasion de la diffusion ce jeudi à 21 heures sur OCS Max, rencontre avec la comédienne qui porte cette comédie sensible, que 20 Minutes a rencontré à Séries Mania en 2023.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à la série « Aspergirl » ?
D’abord, pour le plaisir de se voir proposer un personnage principal intéressant ! Parce que je ne suis pas Marion Cotillard, je n’ai pas la chance d’avoir plein de projets où j’ai le rôle principal. C’était génial qu’on me donne cette responsabilité et qu’on me fasse confiance. Ensuite, le personnage de Louison était très riche à jouer. Il y a beaucoup de comédie en elle, c’est vraiment ma zone de confort, mais pas uniquement. Le fait qu’on vienne me chercher pour quelque chose que je ne sais pas faire ou dans lesquelles je suis moins à l’aise était intéressant. Enfin, j’ai aimé la tonalité globale du projet. Quand je lisais le scénario, je me disais que même si je n’étais pas choisie, je regarderais la série parce que les situations sont drôles et les personnages attachants. Qu’on me propose un projet comme cela, je ne vais pas dire que c’est un miracle, mais je l’ai accueilli bien volontiers !
N’avez-vous pas eu des craintes par rapport à votre légitimité en tant qu'actrice ?
Je me suis beaucoup interrogée sur la question de la légitimité d’incarner une personne autiste alors que je ne le suis pas. Julie Dachez, une référente sur l’autisme qui présente des TSA, a chapeauté l’écriture. Je savais que ce que j’allais jouer serait bienveillant et pas caricatural. Aspergirl est une série à petit budget, le rythme de tournage était donc intense. La production s’est adaptée lors des scènes tournées avec les comédiens présentant des TSA : la lumière était réduite tout comme l’équipe, nous chuchotions sur le plateau et nous faisions des demi-journées de tournage. Je suis donc le résultat d’un compromis logistique et économique… J’ai essayé d’être sur le fil d’une interprétation sincère et j’espère qu’elle n’offensera pas. Cette question ne m’appartient plus. D’autres personnes me diront si j’étais légitime ou non de jouer comme ça. Les avis seront partagés.
Vous avez évoqué la tonalité, j’ai perçu « Aspergirl » comme une sorte de fable sur le trouble du spectre de l’autisme…
Oui. Il y a une vraie volonté de s’éloigner de l’aspect documentaire. Le bureau du principal intégralement vert avec des grenouilles est très éloigné de la vie, mais le dialogue est très réaliste dans cet écrin très coloré. Les personnages sont très décalés, que ce soit les membres de la famille de Louison ou encore l’enquêteur social, qui s’emmêle dans ses rendez-vous. On pousse les curseurs. On est dans quelque chose qui n’est pas de l’ordre de la trahison sur ce qu’on veut défendre au sujet de l’autisme, afin que les personnes concernées aient le sentiment d’être bien représentées, et en même temps, il y a ce choix d’une fiction riche en couleurs.
Comment présenteriez-vous Louison ?
Louison PIRANSHARI (Nicole Ferroni épelle le nom de famille de son personnage, comme Louison dans la série) a bientôt quarante ans et travaille dans un centre du tri postal. Son fils, Guilhem, s’apprête à rentrer en 6e et sa situation amoureuse est dans une espèce de flou, comme cela doit être le cas certainement de beaucoup de Français. Sa situation de départ est très classique, mais on s’aperçoit vite que son comportement et celui de son fils, sont en décalage par rapport aux codes sociaux. On remarque aussi sa volonté de mimer la normalité, comme lorsqu’elle copie sur les autres parents pour savoir comment se comporter avec son fils le jour de la rentrée. La raison de ce décalage n’est pas encore connue, mais peut-être supposée par les spectateurs.
Lorsque son fils plante une fourchette dans la main d’un camarade, tout bascule…
Ce qui j’espère n’arrive pas à tout le monde ! Cette sortie de route d’une apparente normalité va amener toute la famille à se questionner. Ce qui est intéressant, c’est qu’on n’a pas un personnage atteint de TSA, mais un binôme. On va explorer comment chacun accueille ce diagnostic. Alors que son fils est dans le déni, Louison est dans le soulagement, elle comprend enfin d’où vient son décalage. La série va suivre les chemins de la maman et de son gamin. Elle parle aussi de parentalité classique : comment accompagner son enfant ? Comment savoir si l’on est de parents ou non ? Ce sont des questions que les neurotypiques se posent aussi.
« Aspergirl » remet d’ailleurs en question les neurotypiques et leur rapport à la normalité…
Les auteurs et la réalisatrice ont volontairement choisi parmi les gens censés représenter la norme, c’est-à-dire les neurotypiques, des personnages complètement décalés, parfois même toxiques… L’enquêteur social, par exemple, censé être le garant de la sécurité des enfants, se mélange dans les dossiers…
Comment vous êtes-vous préparée pour ce rôle ?
Je me suis renseignée plutôt sur les écrits. Je n’ai pas voulu voir ou revoir de documentaires. Ma crainte aurait été de copier, de prendre une personne atteinte de TSA comme étalon de mon jeu. J’aurais été dans la fabrication et, peut-être du coup, dans la caricature. Je me suis fait confiance. Il fallait qu’on voie une personne avec un décalage social léger, dont on soupçonne qu’il y a quelque chose, mais que ce ne soit pas non plus très franc. Je suis donc arrivée avec une proposition de jeu, dans ma voix, ma posture et mon phrasé, juste un peu à côté de ce qu’on a l’habitude de voir. Je n’ai pas plus préparé que cela la partie imprégnation visuelle. Dès le 2e jour de tournage, on a fait des scènes d’improvisation avec Angèle Rohé, Julien Prez et David Mauqui, les comédiens atteints de TSA, j’en ai profité pour leur poser pas mal de questions !
Comment s’est passée la collaboration avec Carel Brown, lauréat du prix du meilleur acteur en compétition française à Séries Mania, qui joue votre fils ?
Ça s’est bien passé ! Le plan de tournage a voulu qu’on tourne tout de suite la scène où l’on est dans la plus grande proximité physique et même émotionnelle de la série. Il s’agit de la scène où nous sommes dans sa cabane en carton et où l’on discute en chuchotant de notre lien et de comment on va s’en sortir. Cette intimité nous a plongés dans le bain et a créé un lien de proximité. Comme toute l’équipe logeait dans le même appart-hôtel, je partageais le petit-déjeuner avec Carel et sa vraie maman. On se faisait des petites réunions entre vraie et fausse maman : « Mon fils s’est-il bien comporté ? », « Oui, il sait bien son texte ! ». On a passé du vrai temps de famille ensemble. Nous sommes allés à la pizzeria, etc. Ces moments de proximité quotidienne ont mine de rien beaucoup contribué à notre jeu.
Qu’est-ce que ce rôle vous a apporté ?
En tant qu’être humain, cela m’a permis d’apprendre plein de choses sur l’autisme, sur le besoin de ne pas calquer les habitudes sociales qu’on a à tout le monde. Cela m’a vraiment fait me questionner sur la notion de norme, bien que je fasse partie des Français plutôt sensibilisés au monde du handicap et à la question de l’accueil. En tant que comédienne, ce rôle conséquent et la diversité de jeu qu’il propose m’ont donné confiance en moi. Je ne me pensais pas capable d’aller dans mes zones de non-confort comme le drame. Avec cette série, on m’a guidé, j’étais dans un cocon et je trouve que j’ai gagné en lâcher-prise.
Quelles conversations souhaitez-vous que cette série engendre ?
Cette série va peut-être susciter des diagnostics. On sait que les femmes qui présentent des TSA sont diagnostiquées beaucoup plus tardivement que les hommes. C’est le cas de deux de mes amies. Je pense, pour l’avoir sentie comme cela en jouant, que Louison a vraiment un sentiment de soulagement en apprenant son diagnostic. Angèle Rohé a aussi vécu cela. Si Aspergirl peut questionner les gens sur le pourquoi ce ressenti de décalage et si cela peut amener des réponses, ce serait super ! Et après, j’espère qu’elle participera, comme beaucoup d’autres séries, à pousser les cloisons qu’on a tendance à mettre entre les personnes et à permettre un meilleur accueil des diversités quelles qu’elles soient.