« You » sur Netflix : Pourquoi aime-t-on Joe Goldberg même s’il est problématique ?

PARADOXE Joe Goldberg, bien qu’il soit l’un des plus grands psychopathes fictifs de la télévision, est adulé des fans de la série « You » sur Netflix

Anne Demoulin
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Penn Badgley incarne un Joe Goldberg barbu dans la saison 4 de «You ».
Penn Badgley incarne un Joe Goldberg barbu dans la saison 4 de «You ». — Netflix
  • La première partie de la saison 4 de You est disponible ce jeudi sur Netflix.
  • You épouse le point de vue de Joe, a priori le parfait prince charmant (lui-même le croit), mais en fait un individu très dangereux qui harcèle et tue les femmes qui l’obsèdent.
  • Pourquoi aime-t-on Joe Goldberg, bien qu’il soit l’un des plus grands psychopathes fictifs de la télévision ?

Nouvelle saison, nouvelle vie ! Dans la première partie de la saison 4 de You, disponible sur Netflix, Joe Goldberg (Penn Badgley) s’installe à Londres et devient Jonathan Moore, un professeur de littérature barbu et apprécié, qui souhaite prendre ses distances avec les femmes et son ancienne vie. Mais évidemment, ses obsessions et ses pulsions vont vite le rattraper. You épouse le point de vue de Joe, a priori le parfait prince charmant (lui-même le croit), mais en fait un individu très dangereux qui harcèle et tue les femmes qui l’obsèdent. Il peut paraître étonnant qu'il fasse un carton sur Netflix à l’ère post-MeToo. Alors pourquoi aime-t-on Joe Goldberg, bien qu’il soit l’un des plus grands psychopathes fictifs de la télévision ?

Joe Goldberg est l’antihéros par excellence.  « La question des antihéros est compliquée », lance Gilles Vervisch, professeur de philosophie, membre du comité de rédaction de Saison. La Revue des séries et auteur d’Êtes-vous sûr d’avoir raison ? (Flammarion).

« On aime beaucoup les méchants »

De JR Ewing dans Dallas à Cersei Lannister dans Game of Thrones en passant par Walter White dans Breaking Bad, « on aime beaucoup les méchants », rappelle l’expert. En matière de fiction, les méchants sont généralement perçus comme plus complexes et plus intéressants que les gentils. « On a même tendance à se débarrasser des gentils. On a le Joker sans Batman, Maléfique sans Blanche-Neige, etc. », s’amuse Gilles Vervisch, citant Alfred Hitchcock qui estimait qu’« au cinéma, plus le méchant est méchant, plus le film est réussi ».

En ce sens, Joe Goldberg est un personnage particulièrement bien écrit et intéressant parce qu’il y a un contraste entre ses pensées et ses actions. Il se considère comme un romantique désespéré, mais ses actions trahissent un comportement égoïste, opportuniste et calculateur.

« Il y a peut-être cette fonction cathartique »

Ces méchants de fiction offrent aux téléspectateurs l’opportunité de transgresser. « Ce qui plaît dans l’art, dans la fiction, c’est que l’on peut voir et vivre des choses qu’on ne peut pas vivre dans la réalité. Il y a peut-être cette fonction cathartique », explique le philosophe. Et d’illustrer son propos : « Ma série préférée est Les Sopranos qui permet de se retrouver face à des gangsters, des criminels auxquels on ne ressemblera jamais ».

« Joe Goldberg est séducteur »

« Plus facile, plus rapide, plus séduisant est le côté obscur », disait maître Yoda à Luke dans L’Empire contre-attaque. « Si le bien est tentant et le mal repoussant, ce serait trop facile », s’amuse le philosophe. « Joe Goldberg est séducteur à la fois pour les femmes et les garçons qui voudraient s’identifier à lui », souligne le philosophe.

D’autre part, si Joe Goldberg est un sociopathe, nous, téléspectateurs, continuons de penser qu’il y a du bon en lui. Nous savons qu’au fond, tout ce que veut Joe, c’est aimer et être aimé en retour. Un désir profondément humain auquel on peut s’identifier.

L’interprète de Joe Goldberg, agacé par la romantisation autour de son personnage, a rappelé sur les réseaux sociaux qu’ « il n’est pas vraiment une personne qui a juste besoin de quelqu’un qui l’aime. Il est violent. Il est délirant. Et il est égocentrique. » Certaines femmes peuvent cependant voir dans ce personnage une personne brisée, qui n’a pas réussi à être aimée à un moment donné de sa vie et ressentir une profonde empathie avec lui.

« Si tu ressemblais à un pervers »

Si nous sommes si patients avec Joe Goldberg, c’est aussi à cause de son privilège. Penn Badgley expliquait d’ailleurs que l’accroche de la série ne devrait pas être « Jusqu’où est-on prêt à aller par amour », mais « Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour pardonner à un homme blanc méchant ? ». Et si en plus, il est beau et bien habillé ?

Dans le premier épisode de la saison 2, Love s’aperçoit qu’il la suit et choisit d’ignorer cette prédation. « I am sorry… if I seem skeevy (Je suis désolé… si j’ai l’air louche) », lance Joe. « No, I mean you might’ve, if you looked like a skeev… (Non, je veux dire que tu aurais pu, si tu ressemblais à un pervers) », lui répond Love. Conscient de ce privilège, Joe Goldber l’utilise donc à son avantage.

« Il permet de nous interroger nous-mêmes »

« Pour accrocher à une série ou un film, il faut d’une manière ou d’une autre s’identifier au personnage », rappelle Gilles Vervisch. Tout le monde a fait ou a été tenté un jour de faire des recherches en ligne sur une personne. Lorsque Joe commence à se renseigner sur le Web sur une des femmes qu’il a repérées, on peut s’identifier à lui. Il fait ensuite un pas de trop, ce qui fait de lui un stalker.

« Soit c’est cathartique, et cela nous permet de nous défouler, ce qui veut dire que dans le fond, on ne vaut pas mieux que lui, énumère le philosophe. Soit il permet de nous interroger nous-mêmes, en nous demandant, si dans le fond, on n’est pas un peu comme lui, et il y aurait une forme d’éducation morale dans ce personnage un peu caricatural comme tueur en séries. »

Si l’on s’interroge et que l’on condamne son comportement, astucieusement, il peut même nous faire croire que nous valons mieux que lui. C’est probablement l’une des clés de la représentation de Joe Goldberg. D’où vient cette complaisance vis-à-vis de ce psychopathe fictif. « J’y vois des reflets de notre humanité qui nous poussent à nous interroger sur notre propre tentation du mal », conclut le philosophe.