De « Yellowstone » à « Django », pourquoi le western fait-il son grand retour dans les séries

Come-back Portées par le succès monstre de la saga « Yellowstone », les séries western sont légion sur le petit écran

Anne Demoulin
Harrison Ford et Helen Mirren dans « 1923 », le préquel de la série « Yellowstone ».
Harrison Ford et Helen Mirren dans « 1923 », le préquel de la série « Yellowstone ». — Paramount +
  • Portées par le succès monstre de la franchise « Yellowstone », les séries western sont de plus en plus nombreuses sur le petit écran.
  • Même l’Europe retrouve le goût des grands espaces américains comme Canal+ qui lance ce lundi la série western Django.
  • Comment expliquer le retour d’un genre longtemps jugé moribond et dépassé ?

Les cow-boys sont de retour ! Porté par le succès progressif – puis explosif – de la série Paramount Yellowstone, créée par Taylor Sheridan, le western est à nouveau en vogue à Hollywood et en particulier sur le petit écran. L’histoire multigénérationnelle de la famille Dutton emmenée par Kevin Costner a donné naissance à une franchise, avec une demi-douzaine de spin-offs dans les cartons, dont la série préquelle 1883 avec Sam Elliott, Tim McGraw et Faith Hill, 1923, attendue en France le 2 avril sur Paramount +, qui réunit Harrison Ford et Helen Mirren et la future 6666, attendue courant 2023 de part et d’autre de l’Atlantique.

Amazon Prime Video a renouvelé son western surnaturel porté par Josh Brolin, Outer Range, pour une saison 2. Après Vikings, Michael Hirst revisite le destin d’un des plus célèbres hors-la-loi de l’Ouest Américain sur Epix dans Billy The Kid. The CW a lancé en 2021 Walker, le reboot de Walker, Texas Ranger. The Good Lord Bird, sur Showtime aux Etats-Unis et disponible en France sur Canal+, a permis à son cocréateur, Ethan Hawke, de rafler le Golden Globe du meilleur acteur dans une minisérie en 2021. Depuis 2022, Dark Winds sur AMC met en scène deux enquêteurs de la police tribale dans l’immensité de la réserve Navajo dans les années 1970 tandis que That Dirty Black Bag oppose un shérif et un chasseur de primes, connu pour décapiter ses victimes et fourrer leurs têtes dans un sac noir sur Paramount +. 

Si le western fait son retour à Hollywood, les Européens s’y intéressent aussi. En 2022, dans la minisérie The English sur la BBC Two et Prime Video, Emily Blunt campe une aristocrate anglaise en quête de vengeance dans l’Amérique du XIXe siècle. Ce lundi, Canal+ diffuse à 21h10 Django, une série inspirée par le western spaghetti culte de Sergio Corbucci. Pourquoi cette résurgence du western sur le petit écran ?

« Les westerns sont des mythes »

« C’est cyclique. Le western revient toujours d’une manière ou d’une autre », estime Michael Hirst, le créateur de Tudors, Vikings et Billy The Kid, que 20 Minutes a rencontré au Festival de Télévision de Monte-Carlo.

Depuis l’avènement du Nouvel Hollywood à la fin des années 1960, la question de savoir si le western est moribond, refait régulièrement surface. « Tout le monde dit que le western, c’est fini, et quelques années plus tard, les westerns réapparaissent », s’amuse le scénariste.

Pourquoi ? « Les westerns sont des mythes, ils traitent de la vie et de la mort, du Bien et du Mal. Tous les enfants, et pas seulement ceux de ma génération, jouent aux cow-boys et aux Indiens. Ses paysages et ses personnages sont attrayants parce qu’ils relèvent du mythe », analyse Michael Hirst.

Quand les Américains ressentent une forme d’angoisse, ils se tournent vers le western. Le genre « nous ramène à une époque plus simple où les possibilités étaient infinies et la justice implacable », considère Petrine Day Mitchum, productrice et réalisatrice de la série documentaire From Rawhide to Rhinestones : How the West is Worn, sur la mode et la culture cow-boy dans les colonnes de Western Life Today.

« Nous sommes un peu dans le Far West »

Et de poursuivre : « Le héros classique du western est un individu audacieux, autonome, plein de ressources et prêt à redresser tous les torts. Ce sont les qualités auxquelles nous aspirons tous, et s’identifier à ces héros est donc immensément satisfaisant, surtout en période de stress. Alors que notre civilisation est en plein bouleversement, il n’est pas étonnant que le genre du western fasse un retour en force - même s’il n’a jamais vraiment disparu ! ».

Même son de cloche du côté de Chaske Spencer, qui donne la réplique à Emily Blunt dans The English : « Regardez le monde en ce moment, nous sommes un peu dans le Far West. Il y a beaucoup d’incertitude, et je pense que les gens peuvent s’identifier à cela. En même temps, vous pouvez regarder la série et vous détacher de la réalité pendant une heure ou deux », déclare-t-il à nos confrères américains de Variety.

« Réinventer une société »

Yellowstone suit la famille Dutton, menée par le patriarche John (Kevin Costner, icône fédératrice du genre depuis Danse avec les loups), homme aux méthodes parfois expéditives, propriétaire du plus grand ranch des États-Unis près du parc national de Yellowstone dans le Montana. La famille se bat contre des politiciens et autres promoteurs immobiliers afin qu’on n’empiète pas sur ses terres, notamment pour une réserve amérindienne.

Lancée quelques mois après l’investiture de Donald Trump, Yellowstone a d’abord séduit le public rural des petites villes du Midwest (à majorité républicaine) avant de plaire à celui des grandes villes côtières (plus largement démocrate). Cette série réunificatrice, présentant des points de vue à la fois progressistes et conservateurs, souligne les contradictions et les fractures d’une société américaine en pleine introspection et crise identitaire.

La coproduction franco-italienne Django confronte également une cité utopique à une cité ultraconservatrice à l’heure où les sociétés européennes sont de plus en plus divisées et que l’on assiste à la montée des droites extrêmes en Europe. Le western pose la question de « comment réinventer un monde et une société quand tous les repères ont été balayés ? », résume Nathalie Perus, directrice générale d’Atlantique Productions, qui coproduit Django.

Cité par Variety, Brian Watkins, le créateur d’Outer Range estime que le retour du western traduit « notre malaise actuel ». « Nous nous sentons coincés, nous avons envie de tendre la main vers une plaine plus élevée - ou du moins d’imaginer un avenir différent de l’endroit actuel dans lequel nous vivons. En ce sens, le western est un véritable récit emblématique de ce que nous faisons de nos rêves et de la manière dont nous les utilisons »,

« Des personnages dans un état d’urgence »

Pandémie, confinement, changement climatique, inflation, menace d’effondrement… Face aux crises que nos sociétés traversent, le western est rassurant parce qu’il montre des héros face à de gros bouleversements (la rude conquête de l’Ouest, la sanglante guerre de Sécession et les guerres indiennes) et raconte comment ces héros surmontent ces difficultés.

« Le western est un genre qui permet peut-être plus que d’autres de parler du moment présent parce qu’il montre des personnages qui sont dans un état d’urgence, complètement seul face à des forces écrasantes. Il montre leur possibilité de vivre et de survivre. Il permet dans son cadre de parler du présent. Les westerns des années 1970, par exemple, parlaient des conflits politiques des années 1970, peut-être encore plus que les films qui en parlaient directement », explique à 20 Minutes Francesca Comencini, réalisatrice et directrice artistique de la série Django.

« Se battre pour garder son espace »

« L’esprit du western est la recherche de l’espace, pour s’y installer, mais aussi la question de l’espace psychologique. Où est ma place ? Qui suis-je ? Quelles sont mes règles ? C’est le sujet du moment : le climat change d’une manière beaucoup plus concrète qu’il y a quelques années. Il ne sera plus possible de vivre prochainement dans certains lieux, l’espace va se réduire. L’idée concrète de se battre pour garder son espace, qu’il soit psychologique ou physique, est dans les esprits », abonde Maddalena Ravagli, coscénariste de Django.

Des premiers films muets aux séries disponibles sur les plateformes de streaming, le western n’a cessé de se faire le témoin de l’Histoire des Etats-Unis, mais aussi le miroir d’une histoire politique, sociale et économique globale. Une qualité que le western doit à sa capacité « à se réinventer en tant que genre », souligne Michael Hirst.

« Les séries actuelles mettent en avant des femmes »

Ces nouveaux westerns s’affranchissent des règles établies et codifiées. La place des personnages féminins et de la condition féminine a notamment beaucoup évolué dans les séries westerns récentes. « Des femmes fortes sont souvent apparues dans les westerns classiques, mais le genre a généralement été le domaine du mâle alpha », note Petrine Day Mitchum. « Les séries actuelles mettent en avant des femmes qui incarnent les caractéristiques classiques du cow-boy. » 1883 raconte le voyage vers l’Ouest au travers les grandes plaines, vers cette promise que représente le Montana, de la famille Dutton au travers le point de vue d’une jeune femme, Elsa Dutton (Isabel May), qui n’a pas froid aux yeux.

« Dans le monde du western, les femmes sont bonnes, ce sont les hommes qui sont mauvais », constatait le critique André Bazin dans Le western ou le cinéma américain par excellence en 1953. Django, inspiré du western spaghetti, renouvelle le schéma classique des héros et antihéros. Le héros, Django (Matthias Schoenaerts), est une figure paternelle qui a échoué à la recherche d’une seconde chance. L’antagoniste, la très puritaine Elizabeth (Noomi Rapace), la Milady d’Elmdale, se pose comme « la plus féroce gardienne d’un ordre patriarcal en étant une femme. Ce renversement des rôles, et notamment le fait que l’antagoniste soit un personnage féminin, est extrêmement intéressant et contemporain », considère Francesca Comencini.

De son côté, spécialement au travers le personnage de la mère de Billy The Kid, Michael Hirst aborde la question des violences faites aux femmes de façon très organique et pertinente.

Les séries modernes combinent les codes du western avec ceux d’autres genres : Westworld avec ceux de la SF, Yellowstone avec ceux du soap de prestige à la Dallas, Outer Range avec ceux du « high concept », The Mandalorian avec ceux du space opera… « Chaque influence agit sur lui comme vaccin », remarquait déjà André Bazin en 1953. Les cow-boys, pionniers, pionnières et autres shérifs ne sont donc pas près déposer les armes !