Exposition : Léonard de Vinci au Clos Lucé, sur les traces d'un « pionnier » de l’anatomie

MEDECINE Ce vendredi s’ouvre l’exposition « Léonard de Vinci et l’anatomie, la mécanique de la vie », au Château du Clos Lucé

Anissa Boumediene
L'exposition « Léonard de Vinci et l'anatomie », à découvrir au Château du Clos Lucé, met en avant les talents d'anatomiste visionnaire du maître florentin.
L'exposition « Léonard de Vinci et l'anatomie », à découvrir au Château du Clos Lucé, met en avant les talents d'anatomiste visionnaire du maître florentin. — A. Boumediene / 20 Minutes
  • Le Château du Clos Lucé accueille à compter de ce vendredi une exposition sur « Léonard de Vinci et l’anatomie, la mécanique de la vie ».
  • Une expo où l’on peut découvrir comment les multiples talents du maître florentin l’ont aidé à percer les secrets du corps humain.
  • Des travaux d’une précision inédite pour la Renaissance, mais qui n’ont été redécouverts que tardivement.

Il est l’auteur du tableau le plus connu au monde, immortalisant avec la Joconde le sourire le plus énigmatique jamais peint. Loué pour ses talents de peintre, objet de fascination pour ses dons d’inventeur, d’ingénieur et de concepteur de machines telles que le char d’assaut, et auréolé d’un génie mystérieux notamment pour avoir dessiné un plan d’hélice d’hélicoptère un demi-millénaire avant que de tels appareils ne voient le jour, Léonard de Vinci continue, aujourd’hui encore, de révéler l’étendue de ses talents.

A travers l’exposition « Léonard de Vinci et l’anatomie, la mécanique de la vie » *, qui s’ouvre ce vendredi au Château du Clos Lucé, à Amboise (Indre-et-Loire), sa dernière demeure, le public peut découvrir les talents d’anatomiste du maître florentin, qui a su percer les secrets du corps humain avec une troublante précision.

Dissection, proportion et 3D

Quand il s’est intéressé à l’anatomie humaine, « Léonard de Vinci a compilé les travaux de ses prédécesseurs, mais avant lui, l’étude de l’anatomie était très superficielle », explique Pascal Brioist, co-commissaire de l’exposition, professeur d’Histoire moderne à l’Université de Tours et membre du Centre d’études supérieures de la Renaissance. « Il a alors élaboré une méthode de dissection tridimensionnelle, par couches, à la manière d’un scanner, et par tranches, façon IRM, produisant ainsi des planches anatomiques d’une précision remarquable, détaille Dominique Le Nen, co-commissaire de l’exposition, professeur des Universités et chirurgien orthopédique. C’est pourquoi, dans le parcours de l’exposition, nous mettons en parallèle des dessins de Léonard avec l’imagerie médicale moderne, notamment une représentation d’une colonne vertébrale, pour mettre en lumière la qualité artistique et scientifique de ses travaux ».

Anatomie de l’épaule, foetus dans l’utérus ou encore représentation décomposant la main en couches superposées d’os, de muscles, de tendons et autres vaisseaux : de Vinci dessine avec une précision quasi-chirurgicale l’intérieur du corps humain. Comment a-t-il pu le reproduire avec une telle justesse ? « Par son approche mathématique, qui le pousse à tout mesurer, à s’intéresser aux proportions du corps, comme on peut le voir avec son homme de Vitruve, et à considérer que le corps peut se lire en langage mathématique. En outre, la légende voudrait qu’il a disséqué des cadavres en secret, ce qui est faux, insiste Pascal Brioist. Il a oeuvré dans les hôpitaux, et avec l’aide de médecins, en accord avec les autorités politiques et religieuses ; il a assisté à des dissections et en a lui-même pratiqué, durant une trentaine d’années, retrace l’historien. Au moyen d’instruments chirurgicaux, il a soulevé les chairs et étudié organes, muscles, tendons, nerfs, vaisseaux et os pour comprendre la mécanique du corps ».

Une mécanique dont il n’a eu de cesse de chercher à percer le secret, utilisant « ses talents d’ingénieur, d’architecte, de mathématicien et de sculpteur pour entreprendre son exploration de l’anatomie, souligne le Pr Le Nen. Ainsi, dans l’une de ses représentations de la main, il détaille le système de poulies digitales, qui permettent de la fermer, et il a su il y a un demi-millénaire les dessiner et déterminer celles qui étaient essentielles à la mécanique fonctionnelle de la main. C’est remarquable ».



Visionnaire et « père de l’anatomie moderne »

Au cours des cinq derniers siècles, l’oeuvre scientifique constituée par Léonard de Vinci a-t-elle permis d’instruire de longues lignées d’anatomistes, médecins et chirurgiens ? Peut-on le considérer comme l’inventeur de l’anatomie moderne ? « On aimerait le croire, tant le corpus qu’il a composé est extraordinaire : avant Léonard, on n’a aucun dessin de cette qualité, rappelle le Pr Le Nen, c’est un pionnier ! » Mais « ses travaux anatomiques n’ont jamais produit d’ouvrage publié, ils ont longtemps été ignorés et n’ont été redécouverts qu’à la toute fin du XIXe siècle, précise Pascal Brioist. A ce titre, on ne peut pas véritablement parler d’héritage de de Vinci en anatomie ».

Pour autant, « pour le produit scientifique qu’il a laissé à la postérité, je le considère tout de même comme le père de l’anatomie moderne, confie le Pr Le Nen. Il a été un précurseur visionnaire de la connaissance anatomique et de sa représentation en 3D. Là, on voit à quel point il était plusieurs personnages ultratalentueux en un : un scientifique anatomiste, un artiste et un ingénieur ». Un sentiment partagé par Pascal Brioist, qui veut « croire à cette idée de fertilisation croisée, entre les mondes du sculpteur, du mécanicien, du peintre : de Vinci était tout cela ». Et « chaque casquette a nourri les autres, avec cette capacité décuplée de reproduire avec une précision inédite et extraordinaire pour l’époque des organes comme la main, pourtant d’une complexité extrême, abonde le Pr Le Nen. En tant que chirurgien orthopédique, j’éprouve un sentiment d’admiration extraordinaire pour le personnage, pour son oeuvre scientifique, mais aussi pour la qualité artistique de ses dessins : la façon dont il a retranscrit ce contenu scientifique, c’est de l’art ! »

Un art à admirer à travers un parcours mêlant ouvrages, dessins anotés et maquettes. Mais aussi des installations plus surprenantes, à l’instar de la représentation en 3D de « La Cène », ou la reconstitution d'une salle de dissection, où de Vinci a exploré le corps humain. « On l'a recréée en s'inspirant des hôpitaux italiens où Léonard s'est rendu, précise Pascal Brioist. Et elle ne devrait pas laisser indifférent! »

* Exposition « Léonard de Vinci et l’anatomie, la mécanique de la vie », au château du Clos Lucé à Amboise, du 9 juin au 17 septembre 2023.