Neuralink : Pourquoi l’implant cérébral d’Elon Musk est encore loin de faire de nous des cyborgs
DECRYPTAGE La start-up d’Elon Musk a reçu le feu vert des autorités médicales pour commencer les premiers essais cliniques humains
- La start-up d’Elon Musk Neuralink a reçu l’autorisation pour tester ses implants cérébraux sur des humains aux Etats-Unis.
- Les perspectives médicales sont réelles, notamment pour restaurer la vision ou permettre à des personnes paralysées de remarcher.
- Attention toutefois à la hype qui promet de nous transformer en humains « augmentées » super-intelligents.
De notre correspondant aux Etats-Unis,
Contrôler un smartphone ou un ordinateur par la pensée. Retrouver une vision rudimentaire après l’avoir perdue. Remarcher malgré une lésion de la moelle épinière. Booster son intelligence ou sa mémoire. Ce sont certaines des promesses d’Elon Musk et de l’implant cérébral de sa start-up Neuralink, qui a reçu le feu vert des autorités médicales américaines pour commencer les premiers essais cliniques humains.
Science ou science-fiction ? 20 Minutes fait le point sur les possibilités de ce type d'interface neuronale directe (brain-computer interface, ou BCI, en anglais) sur lesquelles les scientifiques travaillent depuis des dizaines d’années.
Comment fonctionne l’implant cérébral de Neuralink ?
Un robot-chirurgien découpe une petite portion du crâne – d’un singe ou d’un porc (*) jusqu’à présent – pour insérer un implant de la taille d’une smartwatch (quatre pièces de 2 euros empilées). Puis, comme une super machine à coudre, il plante 64 microfils souples, plus fins qu’un cheveu, à la surface du cerveau. Couverts de 16 électrodes (1.024 au total), ces filaments sont capables de décoder les signaux neuronaux ou de stimuler certaines zones cérébrales.
L’opération se déroule en moins d’une heure, sans anesthésie générale. L’implant, qui communique via Bluetooth avec un ordinateur, est rechargé sans fil par induction. « La véritable avancée de Neuralink, c’est leur technologie pour implanter ces microfils avec un robot qui évite soigneusement les vaisseaux sanguins (du cerveau) pour limiter les dégâts », détaille le neuroscientifique Bradley Greger, enseignant-chercheur à l’université Arizona State, qui travaille depuis des années à la restauration partielle de la vision en stimulant directement le cortex visuel. Selon lui, ces électrodes souples, et non rigides comme la plupart de celles utilisées actuellement, sont la clé pour des implants que l'on pourrait garder à vie.
Le scientifique rappelle que des implants sont utilisés de manière routinière depuis une trentaine d’années dans la stimulation cérébrale profonde, afin de minimiser les tremblements des patients atteints de la maladie de Parkinson, avec « un taux de complications chirurgicales très faible ». Et les implants cochléaires, eux, stimulent déjà le nerf auditif.
Contrôler un ordinateur par la pensée est-il nouveau ?
Il y a deux ans, Neuralink a dévoilé une vidéo de Pager, un macaque âgé de 9 ans jouant à Pong par le simple pouvoir de la pensée. Greger rappelle que des humains étaient déjà capables de déplacer un curseur ou de contrôler un bras robotique pour boire à la paille il y a plus de quinze ans. Pour le chercheur, « Neuralink passe d’une preuve de concept testée en laboratoire à un appareil médical grand public ». Qui pourrait changer la vie de personnes atteintes de troubles neuromoteurs comme la maladie de Charcot, dont souffrait Stephen Hawking.
Et comment ça marche ?
Pour réaliser ce tour de magie, l’implant de Neuralink enregistre d’abord les signaux électriques neuronaux du singe qui joue à Pong ou déplace un curseur lumineux avec un joystick. Le primate est récompensé par une goutte de smoothie à la banane quand il réussit une action. Le câble de la manette est ensuite coupé. L’animal n’y voit que du feu.
Quand il appuie à gauche/droite/haut/bas, les signaux neuronaux qui contrôlent les muscles du bras et de la main sont décodés par le système, et son intention est suivie d’une action à l’écran. Puis Neuralink retire complètement le joystick. Le singe joue par télépathie.
D’autres entreprises, comme Meta, font des expériences avec des casques qui ne nécessitent pas de passer sous le bistouri. Mais, « la quantité et la qualité d’informations qui peuvent être échangées » via des électrodes directement connectées au cerveau sont largement supérieures », insiste Greger.
Peut-on vraiment permettre à des personnes non-voyantes de (re)voir ?
Si notre œil est comparable à un appareil photo qui capte la lumière réfléchie par les objets environnants, l’information est traitée par le cortex visuel. Formes, couleurs, mouvement… Ce que l’on « voit » est en fait une interprétation cérébrale de signaux électriques.
En les reliant à une caméra, « les implants comme ceux de Neuralink sont capables d’activer des neurones en stimulant une zone précise du cortex visuel, ce qui permet à un patient de percevoir des flashs lumineux » dans son champ de vision, explique le chercheur. Qui insiste toutefois fortement : « Il s’agit d’une vision extrêmement rudimentaire. » On parle ici de lignes et de contours, sans couleur, tout juste suffisants pour reconnaître un objet - et, à l’heure actuelle, sans doute pas un visage. Mais même une vision basique peut aider une personne non-voyante à s’orienter. « Les patients nous disent que c’est mieux que rien. »
A l’heure actuelle, cette approche donne de meilleurs résultats pour les personnes ayant perdu la vue que celles nées aveugles. Pour ces dernières, « le cortex visuel et les connexions des neurones se sont développés de manière différente », mais le chercheur se dit « convaincu » que leur offrir une vision bionique limitée sera un jour possible. Passer à terme de 1.024 électrodes à deux fois 16.000 devrait également améliorer la résolution des images.
Comment les implants aident les personnes paralysées des jambes à remarcher ?
Je pense, donc je bouge. Même si on ne s’en rend pas compte, nos déplacements prennent naissance dans notre cerveau. Mais quand une lésion - partielle ou totale - de la moelle épinière coupe le message nerveux, les jambes ne répondent plus. Des implants ont déjà permis à des patients de remarcher ces dernières années, comme le Néerlandais Gert-Jan Oskam, dont les progrès ont été chroniqués dans Nature la semaine dernière. Le principe est le même pour Neuralink : il s’agit de créer un « pont » en plaçant un implant dans le cerveau, et un autre au niveau de la moelle épinière, après la lésion. Grâce à un calibrage de plusieurs mois et aux progrès en intelligence artificielle, « le message est redirigé vers les nerfs et les muscles », précise Bradley Greger.
Serons-nous un jour des humains à l’intelligence augmentée par des implants ?
Si la priorité est donnée à la médecine, Elon Musk ne cache pas ses aspirations transhumanistes, avec des implants qu’il veut rendre « aussi accessibles » qu’une chirurgie de la myopie. Selon lui, une puce boostant nos capacités cognitives ou nous permettant d’interagir directement avec la machine sans être limité par la lenteur de nos pouces et de nos yeux incarne « la seule solution si on ne veut pas devenir obsolètes » face à la potentielle émergence d’une intelligence artificielle forte.
Pourrons-nous stocker nos mémoires dans des implants, comme dans Black Mirror ? Apprendre le kung-fu comme Neo dans Matrix, ou parler n’importe quelle langue, avec le risque d’inégalités encore plus fondamentales entre riches et pauvres ? « C’est de la spéculation et de la science-fiction », juge Greger.
« On comprend très mal comment une information cognitive complexe – notre capacité à comprendre des maths avancées, à avoir certains sentiments – est encodée. Quand on apprend à jouer d’un instrument, la structure physique de notre cerveau change, avec des connexions neuronales recâblées. Il faut s’entraîner pendant des années. »
S’il n’exclut pas que la science permette un jour de reconfigurer nos neurones, le quinquagénaire ne pense pas qu’il verra cela de son vivant : « Cela pose de nombreux problèmes éthiques. Et en toute sincérité, je ne pense pas que beaucoup de personnes aient envie de se faire implanter une puce dans le cerveau, à moins d’en avoir absolument besoin. »
(*) Selon des révélations de Reuters, Neuralink est visé par une enquête du département américain de l'Agriculture pour de possibles cas de maltraitance animale, avec plus de 1.500 animaux morts depuis 2018 dans le cadre de ses recherches. Ce chiffre ne signifie toutefois pas que Neuralink a enfreint la réglementation : dans le cadre de recherches médicales sur des animaux, ces derniers sont souvent abattus après coup pour être autopsiés.