The Exploration Company entend relancer l’Europe dans la course aux vols cargo dans l’espace

NEW SPACE La start-up basée à Mérignac près de Bordeaux et à Munich développe une capsule spatiale réutilisable qui servira de cargo pour alimenter stations spatiales et bases lunaires

Mickaël Bosredon
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La capsule spatiale réutilisable Nyx, conçue par la start-up The Exploration Company.
La capsule spatiale réutilisable Nyx, conçue par la start-up The Exploration Company. — TEC
  • The Exploration Company est une start-up du new space basée à Bordeaux et Munich.
  • Elle conçoit une capsule spatiale réutilisable pour l’orbite terrestre en 2026 et la Lune pour 2028.
  • En attendant, l’entreprise est la plus jeune start-up à être sélectionnée par l’Agence spatiale européenne pour embarquer un démonstrateur dans le vol inaugural d’Ariane 6.

Difficile de croire que c’est dans un de ces petits laboratoires, au bout d'un long couloir, que se joue une partie importante pour l’Europe dans le marché de l’exploration spatiale. C’est pourtant bien ici, au sein de l’incubateur Bordeaux Technowest, un bâtiment perdu au bout des pistes de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac (Gironde), que la start-up germano-bordelaise The Exploration Company (TEC) conçoit en partie Nyx, une capsule spatiale réutilisable - dans la veine du Crew Dragon de Space X.

Cette capsule va notamment servir de cargo pour ravitailler stations spatiales et bases lunaires. Et, « aujourd’hui, un véhicule comme celui-là n’existe pas en Europe », explique Hélène Huby, fondatrice et dirigeante de la start-up, qui rappelle que l’Agence spatiale européenne « a arrêté le programme de l’ATV qui ravitaillait la Station spatiale internationale [ISS] ».

Les autres véhicules spatiaux sont, à ce jour, à chercher du côté russe avec Soyouz, chinois avec Thianzou ou américain avec, outre Crew Dragon, Starliner et Cygnus. « L’apport de The Exploration Company est unique et va permettre à l’Europe de revenir dans le jeu au niveau des vols cargo dans l’espace, annonce le président de la région Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset. C’est donc une entreprise stratégique. »

Un démonstrateur dans le vol inaugural d’Ariane 6

A l’instar de Space X, The Exploration Company grandit et apprend très vite. Dix-huit mois seulement après sa création, l’entreprise de logistique spatiale est passée de trois à cinquante personnes, et finalise déjà son premier démonstrateur Bikini qui embarquera dans le vol inaugural d’Ariane 6. Lauréate d’un prix lancé par l’Agence spatiale européenne, la start-up est l’une des sept entreprises sélectionnées pour ce vol très attendu et prévu à la fin de l’année. « Nous sommes même la plus jeune start-up sélectionnée par l’agence spatiale pour voler sur Ariane 6 » pointe la dirigeante.


The Exploration Company a développé son démonstrateur Bikini qui embarquera dans le vol inaugural Ariane 6
The Exploration Company a développé son démonstrateur Bikini qui embarquera dans le vol inaugural Ariane 6 - Mickaël Bosredon

Conçu en seulement neuf mois et pour 500.000 euros, ce démonstrateur de rentrée atmosphérique embarquera à vide dans Ariane 6, puis sera lâché dans l’espace avant de redescendre sur Terre... et de couler au fond de l'océan. Le démonstrateur ne sera donc pas récupéré. L’intérêt de cette mission ? Bardée d’électronique, la capsule permettra de récupérer tout un tas de données au cours de sa phase de rentrée : mesures d’accélération, d’orientation, de température… Elle va également permettre de tester le matériau de protection thermique utilisé, un agrégat de liège et de résine très haute performance. 

« Cela chauffe énormément sur la capsule au moment de l'entrée atmosphérique, nous avons donc placé des capteurs pour savoir dans quelle mesure cette protection est efficace » explique Sébastien Reichstadt, reponsable propulsion et co-fondateur de l'entreprise. « Toutes ces données vont nous permettre d’améliorer les capsules suivantes concernant la rentrée atmosphérique, une des phases les plus difficiles techniquement à maîtriser », poursuit Hélène Huby, formée à l’ENA et passée par Airbus Defence and Space. 

Un véhicule capable de faire du point to point sur la Lune

Et après ? Tout devrait s’enchaîner très vite. Dès 2024, The Exploration Company enverra dans l’espace un deuxième véhicule, Mission Possible, beaucoup plus grand (environ 2,5 mètres de diamètre), et qui emportera quelque 300 kg de matériel. « Il est déjà entièrement réservé par le Cnes et les agences spatiales allemande et européenne » souligne Hélène Huby. Mission Possible embarquera cette fois-ci dans la fusée Space X, « mais nous sommes un lanceur agnostique, c’est-à-dire que nous sommes compatibles avec des lanceurs indiens, européens et américains, insiste Hélène Huby. Cela nous donne un éventail de choix pour être lancés. »


Nyx Earth embarquera du cargo en orbite terrestre à partir de 2026.
Nyx Earth embarquera du cargo en orbite terrestre à partir de 2026. - TEC

Ce sera ensuite au tour des véhicules Nyx - Nyx Earth en 2026 et Nyx Moon en 2028 - de sortir des ateliers de l’entreprise. On passera alors à des capsules, récupérables, de quatre mètres de diamètre. La commercialisation de Nyx Earth, qui pourra envoyer du cargo et rester en orbite terrestre jusqu’à six mois avant de revenir sur Terre, a même déjà commencé. 

Pour le véhicule lunaire, « nous réutiliserons les mêmes parties que le véhicule terrestre, en ajoutant des moteurs cryogéniques que l’on développe en Nouvelle-Aquitaine. Il aura la capacité d’aller sur les stations lunaires et de se poser sur la Lune, voire de faire du point to point sur la Lune. » Pour cette version lunaire, la start-up développe un moteur à propulsion liquide permettant d'alunir et de redécoller, avec de l'ergol vert à base de biométhane, ce qui sera une première. « Nous avons aussi intégré dans ce moteur beaucoup d'électrique et d'électronique pour contrôler le fonctionnement du moteur, et pouvoir le réutiliser en analysant son comportement » complète Sébastien Reichstadt.

Un prix de 25.000 euros par kilo lancé

The Exploration Company vise trois destinations principales : les stations spatiales autour de la Terre, la station autour de la Lune (Lunar gateway), et la surface lunaire. « Il faudra transporter tout ce qui concerne les expériences des astronautes, leur nourriture, les pièces de rechange des stations… », énumère Hélène Huby.



Mais les futurs clients de la start-up ne seront pas que les agences spatiales. « Il y a aussi cinq stations spatiales privées qui se développent et qui sont très intéressées pour nous acheter du cargo. Certaines serviront par exemple à positionner des fermes de serveurs dans l’espace, pour permettre aux dizaines voire centaines de milliers d’objets spatiaux de demain de faire leurs calculs in situ, dans une perspective de plus grande sécurité. La plus avancée de ces stations est Axiom Space, dont un des clients les plus importants est Amazon. Après, nous enverrons sur la Lune des matériaux de construction et des Rover. »

Question tarif, « nous visons un prix de commercialisation de 25.000 euros par kilo lancé, annonce Hélène Huby, en comparaison, emmener du cargo sur la Station spatiale internationale et le faire redescendre coûte environ 100.000 euros du kilo. Notre prix de démarrage est donc 25 % inférieur que celui de la concurrence aujourd’hui, ce qui est permis par notre approche start-up et la technologie de réutilisation. »

Vols habités pour du tourisme spatial

Pour mener à bien ses missions, le véhicule aura besoin de se « docker » aux stations, avec là encore un verrou à faire sauter, car la technologie « n’est pas encore maîtrisée en Europe », souligne Hélène Huby. « Mais nous faisons partie des lauréats d’un contrat de l’ESA pour démarrer le développement de cette technologie du docking. »

La start-up souhaite enfin proposer des vols habités pour le tourisme spatial. « Mais embarquer des humains est un peu plus complexe, et ce sera une étape qui se fera plus tard. »