James Webb : Avant le lancement du télescope spatial, quatre raisons de dire « merci » à son petit frère Hubble
ESPACE Le 24 décembre, le James Webb, plus grand télescope spatial jamais lancé dans l’Espace, décollera de Kourou. Avec la promesse de très vite faire oublier Hubble, son prédécesseur ? Pas si vite
- Voilà trente-et-un ans qu’Hubble est en orbite à 590 km de la Terre. Sa longévité est la première prouesse de ce premier télescope spatial qui va, d’ici peu, accueillir son grand frère, le James Webb Telescope, bien plus grand et à la vision infrarouge prometteuse.
- Hubble n’a pas à rougir, loin de là. Il y a déjà ces images magnifiques de l’Univers qu’il a ramenées. Il y a surtout ces 1,5 million d’observations réalisées, qui ont donné lieu à 18.000 articles scientifiques.
- Dans le lot, des découvertes majeures, notamment sur l’existence des trous noirs au cœur des grosses galaxies. Mais aussi et surtout dans la compréhension de l’Univers. Et ça continue, car Hubble n’est pas encore à la retraite.
James Webb par-ci, James Webb par-là. Il n’a pas encore quitté le plancher des vaches, et il est encore loin d’être venu à bout du chemin semé d’embûches jusqu’au point de Lagrange L2 (à 1,5 million de kilomètres de la Terre) , où il sera mis en orbite. Pourtant, le futur télescope spatial, dont le lancement est prévu le 22 décembre [pas avant le 24 décembre, dit désormais Arianespace], fait déjà couler beaucoup d’encre.
Il faut dire que les attentes sont grandes à l’égard du plus grand et puissant télescope jamais lancé dans l’Espace. Sans doute alors Hubble vivra dans l’ombre de son petit (mais bien plus grand) frère. Mais attention tout de même à ne pas lui manquer de respect. En orbite à 590 kilomètres de la Terre depuis 1990, le premier télescope spatial a réalisé plus d’un million d’observations, avec d’importantes trouvailles à la clé. 20 Minutes a sélectionné quatre raisons de lui dire un immense « merci ».
Pour tes images magnifiques
En trente-et-un ans, ce n’est pas peu dire qu’Hubble nous en a mis plein la vue. L’une de ses images les plus célèbres est celle prise le 1er avril 1995 des « Piliers de la création », ces gigantesques colonnes de gaz et de poussière de la nébuleuse de l’Aigle qui font office de pouponnière d’étoiles. Mais il y en a de très nombreuses autres, certaines tout aussi époustouflantes. Un coup d’œil rapide sur le compte twitter d’Hubble, où la Nasa publie quotidiennement des clichés du télescope, suffit pour s’en rendre compte.
C’est le gros « plus » d’un télescope spatial par rapport aux observatoires au sol. « Ces derniers sont limités par l’atmosphère, qui bloque certaines longueurs d’onde dont l’ultraviolet (et heureusement pour nous !) mais brouille aussi les images* », commence Thierry Contini, astrophysicien àl'Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP). Il n’empêche, « même avec un miroir relativement modeste (2,40m de diamètre), Hubble a pu faire des images plus fines, plus précises que les géants du sol », poursuit Oliver Sanguy, rédacteur en chef de l’actualité spatiale à la Cité de l’espace de Toulouse.
Et grandioses en prime. Un atout qu’a su pleinement exploiter la Nasa pour faire de la médiation scientifique et intéresser le grand public à l’astronomie. « C’était, dès le départ, l’un des missions fixées à ce programme Hubble », rappelle Olivier Sanguy.
D’avoir été aussi prolifique
Hubble n’a pas fait qu’épater la galerie ces trois dernières décennies. Il est aussi et surtout l’un des instruments scientifiques les plus productifs jamais conçus. Au dernier comptage, cet été, la Nasa évaluait à 1,5 million le nombre d’observations réalisées par Hubble, qui ont donné lieu à 18.000 articles scientifiques, cités à leur tour plus de 900.000 fois. « Un total qui augmente, en moyenne, de plus de 150 par jour », précise l’agence spatiale américaine.
Là encore, être dans l’Espace aide beaucoup. « Hubble ne connaît pas les problèmes météo ni l’alternance jour/nuit, illustre Olivier Sanguy. Et si certaines portions du ciel lui sont inaccessibles – celles trop proches du soleil, par exemple-, il lui reste tout de même une fenêtre d’observation importante dans laquelle il a su répondre présent ». Même à 590 km de nous, « Hubble se pilote comme n’importe quel observatoire au sol, avec la possibilité de le braquer, à n’importe quel moment et rapidement, sur une région précise du ciel, explique Thierry Contini. Il a par exemple fait de très belles images de la collision de la comète Shoemaker-Levy avec Jupiter en 1994. A l’automne 2017, Hubble a aussi été l’un des télescopes utilisés pour en savoir plus sur l’origine de la source d’ondes gravitationnelles [des oscillations dans la courbure de l’espace-temps produites par les phénomènes les plus violents du cosmos] détectées quelques mois plus tôt par les interféromètres Ligo, aux Etats-Unis, et Virgo, en Italie. »
De nous avoir appris à mieux cerner l’Univers
Les planètes du système solaire, des galaxies proches, des exoplanètes, des étoiles, leurs pouponnières. En trente-et-un ans, le télescope a braqué son œil sur de multiples objets célestes. Avec, à la clé, « des découvertes majeures pour des générations d’astrophysiciens, assure Thierry Contini. C’est à lui par exemple qu’on doit la confirmation de l’existence de trous noirs supermassifs au cœur des grosses galaxies. »
On doit beaucoup aussi à Hubble sur l’Univers lointain. « A l’origine, sa principale mission était de connaître plus précisément l’âge de l’Univers, explique Olivier Sanguy. Avant son lancement, il était estimé entre 10 et 20 milliards d’années, une fourchette très large. Les observations de séphéides et de supernovae qu’Hubble a pu faire** ont permis d’arriver à une estimation de 13,7 milliards d’années (+/-10 %). »
Voilà pour l’âge. Hubble a aussi contribué à améliorer la compréhension de la structure de l’Univers. Une autre image célèbre du télescope est ainsi celle du « champ profond d’Hubble », un tout petit bout de ciel dans la constellation de la Grande Ourse qu’Hubble a observé sur dix jours consécutifs, du 18 au 28 décembre 1995. Si le résultat est visuellement moins époustouflant que les Piliers de la création, le « champ profond d’Hubble » est l’une des images les plus lointaines de l’Espace dont nous disposons. Et rien que dans ce microcoin de ciel, Hubble a trouvé plusieurs milliers de galaxies. Bien plus qu’escompté, ce qui a poussé à réviser à la hausse l’estimation du nombre de galaxie dans l’Univers. « De 200 milliards dans l’Univers observable à 2.000 milliards aujourd’hui », précise Oliver Sanguy.
Hubble a permis d’aller plus loin encore et de manière inattendue. Les supernovae les plus éloignées qu’il a observés sont apparues moins brillantes que prévu, « signifiant par là que l’expansion de l’Univers accélère au lieu de ralentir », expliquent les astronomes Thibault Merle et Alain Jorissen dans The Conversation. Une hypothèse fragile au début mais qui n’a cessé d’être confirmée depuis.
De continuer le job encore pour plusieurs années
« Un des champs de progression les plus importants de l’astronomie est dans l’infrarouge », lance Olivier Sanguy. Un rayonnement électromagnétique de même nature que la lumière visible, mais dont les longueurs d’onde sont trop grandes pour être perceptibles par l’œil humain.
James Webb sera justement optimisé pour observer dans l’infrarouge, le proche et le moyen, avec cette belle promesse alors de pouvoir observer des objets très lointains et, ainsi, remonter plus loin encore aux origines de l’Univers. « Mais il ne fera "que" ça quand Hubble couvre tout le reste, soit la lumière visible, l’ultraviolet, mais aussi le proche infrarouge », reprend Olivier Sanguy. « Des fréquences qui continuent de nous intéresser en astrophysique », précise Thierry Contini.
Il serait dommage alors de se priver d’Hubble, d’autant plus qu’il a été conçu et placé en orbite à une distance suffisamment proche de la Terre pour pouvoir être réparé et mis à jour. En clair, Hubble est loin d’être rouillé. « Sa durée de vie est impressionnante, et alors qu’il semblait convenu qu’il parte à la retraite avec l’arrivée de James Webb, la Nasa a décidé de le garder en service pendant au moins dix ans », raconte l’astrophysicien de l’IRAP. Qui y voit une très bonne décision : « il y a de belles complémentarités à trouver entre les deux télescopes, y compris dans l’observation d’objets célestes communs, commence-t-il. Et il sera très probablement difficile d’obtenir du "temps de télescope" avec James Webb, qui devrait être très demandé, si bien qu’Hubble rendra encore bien des services. »
* Même si des techniques – comme l’optique adaptative - permettent désormais de corriger cette turbulence atmosphérique, précise Thierry Contini.
** Les céphéides et les supernovae sont des étoiles singulières dont les variations de luminosité sont extrêmement régulières et donc prédictibles. Elles peuvent alors être utilisées comme étalons de luminosité pour mesurer les distances des galaxies qui les hébergent, expliquent dans The Conversation Thibault Merle, chercheur en astrophysique, et Alain Jorissen, maître de recherches honoraire, tous deux à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).