Alunissage de la sonde Chang’E : « Les Chinois veulent montrer qu’ils sont au niveau des autres », commente Patrick Michel
INTERVIEW Patrick Michel, directeur de Recherches au CNRS, pour l'Observatoire de la Côte d'Azur, commente la mission en cours de la Chine sur la Lune
- Lundi, la Chine s’est posée sur la Lune, première étape d’une mission ambitieuse qui doit rapporter sur Terre des échantillons du sol lunaire.
- Cet exploit n’avait été réalisé que par deux puissances spatiales auparavant : les Etats-Unis et la Russie.
- « Les Chinois ont une volonté de faire des démonstrations technologiques, de montrer qu’ils sont au niveau des autres », commente l’astrophysicien Patrick Michel.
Quarante-huit ans après les Etats-Unis, quarante-quatre ans après la Russie, la Chine veut rapporter environ deux kilos de roches lunaires. Son rover Chang’E 5 s’est posé avec succès lundi sur la Lune, première étape d’une mission ambitieuse, qui doit revenir sur Terre mi-décembre.
Si cette mission réussit, ce sera une prouesse pour la Chine, qui sera seulement la troisième nation à réaliser un tel exploit. Les Chinois sont-ils en train de s’imposer parmi les grandes puissances spatiales ? Elements de réponse avec Patrick Michel, directeur de recherche au CNRS et astrophysicien à l’Observatoire de la Côte d’Azur.
Collecter et ramener des échantillons de sol lunaire, c’est un exploit ?
Pour l’instant, la sonde chinoise s’est posée sur la Lune, ce qui n’est pas la partie la plus difficile. Si elle parvient à creuser puis renvoyer l’échantillon sur Terre, ce sera extraordinaire. C’est un exploit que seuls les Américains et les Russes ont pour l’instant accompli.
Aller dans l’espace, se poser quelque part, c’est déjà compliqué, mais revenir c’est encore plus difficile : il faut que le module survive à l’atterrissage, il faut pouvoir redécoller et revenir sur Terre, en résistant au passage dans l’atmosphère. Maintenant, on est habitués à voir les missions réussir, à aller sur Mars, mais l’espace reste quelque chose de très compliqué. On pilote les rovers à distance, on a affaire à des surfaces inconnues, on ne sait pas comment elles vont réagir, dans un environnement d’attraction très différent de la Terre. Il y a énormément de possibilités de rater une mission. Les Chinois n’ont pas l’entraînement des autres agences spatiales, et pourtant, ils vont très vite : en quelques années, ils ont rattrapé le temps.
Pourquoi la Chine a-t-elle choisi de se poser sur la Lune, territoire déjà exploré par d’autres nations avant elle ?
Les Chinois ont une volonté de faire des démonstrations technologiques, de montrer qu’ils sont au niveau des autres. Le passage par la Lune est un passage évident. Dans la perspective d’envoyer des humains dans l’espace, il faut d’abord savoir gérer des missions lunaires. Dans ce but, ils suivent les mêmes étapes que la Nasa dans le temps : mise en orbite autour de la Lune, atterrissage, collecte d’échantillons, et transport d’êtres humains en dernier.
Est-ce qu’on les attendait sur ce terrain-là ?
J’ai toujours pensé qu’ils iraient vite car ils sont puissants et prônent l’intérêt commun avant l’intérêt individuel, c’est une grande force. Dans nos pays, on a des gens brillants mais c’est plus individualisé.
Je ne suis pas très surpris de leur rapidité, par contre je suis surpris du succès qu’ils obtiennent rapidement. Dans l’espace, on fonctionne par « trials and errors », on se trompe et ensuite on résout les problèmes. Eux arrivent quasi immédiatement à un succès.
Scientifiquement, quand j’étais rapporteur d’articles, la Chine redécouvrait la Lune. Les chercheurs faisaient des papiers sur l’espace qui étaient déjà obsolètes, ils apprenaient ce qu’on avait découvert. Maintenant, leurs publications sont au même niveau en planétologie que les autres. Il y a beaucoup d’articles signés par les Chinois de très bonne qualité. D’ailleurs, de plus en plus de jeunes s’orientent vers des carrières de chercheurs, ils rattrapent leur retard sur les connaissances à vitesse grand V.
Vous disiez que la Chine allait accomplir une mission seulement réalisée par les Etats-Unis et la Russie. Y a-t-il un trio de superpuissances spatiales en train de se former ?
Ça dépend de quel point de vue on se place. Scientifiquement, la Chine reste loin derrière l’Agence spatiale européenne par exemple. Quand on regarde les missions scientifiques atterrir sur Titan, sur la comète Tchouri, le satellite Planck avec le fonds diffus cosmologique… L’Europe a réalisé de grandes choses. Pour l’instant, je dirais que la Chine en est au stade de démonstration technologique, sur des missions que l’Europe n’a pas démontrées.
Si tout se passe bien, la sonde Chang’E 5 va rapporter de la poussière lunaire, un matériau précieux pour les scientifiques. La France va-t-elle pouvoir jouer un rôle ?
C’est en discussion : en France, on a une grosse communauté de cosmochimistes, très reconnue. Avec tous les échantillons qui doivent revenir de l’espace dans les mois et années à venir, elle est en train de s’organiser officiellement pour répondre aux sollicitations. Il est clair qu’il y a aussi des discussions avec les Chinois pour accueillir des échantillons de la Lune, mais ce n’est pas encore organisé. La Chine coopère de plus en plus avec la France : en 2022, une mission commune doit être lancée, Svom, sur la détection des rayons gamma.
Quelles sont les prochaines grosses ambitions de la Chine dans l’espace ?
Leur prochain gros défi, c’est la mission ZhengHe, qui doit collecter des échantillons sur un astéroïde actif qui semble se comporter comme une comète. Ça fait très longtemps qu’on essaie de comprendre ce que ça veut dire. Là aussi c’est un défi énorme : seuls Japonais et Américains se sont déjà posés sur un astéroïde, sauf que celui-là fait 30 mètres de diamètre et qu’il tourne très vite sur lui même. Ça va être très intéressant.
Ils sont aussi en route vers Mars avec leur rover Tianwen-1 et pourraient participer au retour d’un échantillon martien. Il y a vraiment des gros challenges qu’on est en train d’accomplir dans l’espace, et la Chine participe à cette période fascinante.