Boson de Higgs: Pourquoi la dernière découverte du Cern est-elle presque décevante?

PHYSIQUE Six ans après la découverte du Boson de Higgs, les physiciens du Cern viennent d’annoncer une nouvelle observation sur cette particule…

Fabrice Pouliquen
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Les physiciens du Cern ont encore quelques années de travail devant eux sur leur accélérateur de particules pour percer tous les secrets du boson de Higgs.
Les physiciens du Cern ont encore quelques années de travail devant eux sur leur accélérateur de particules pour percer tous les secrets du boson de Higgs. — FABRICE COFFRINI / AFP
  • Des physiciens du Cern ont annoncé mardi avoir enfin observé la désintégration du boson de Higgs, en une paire de petites particules, les quarks bottom.
  • L’existence de cette particule a été théorisée dans les années 1960 par des physiciens pour dépasser un point sur lequel butait le modèle standard de la physique des particules : la question de la masse des particules.
  • Il restait à vérifier cette théorie ce à quoi s’attellent les physiciens depuis 50 ans. Les prédictions de ce modèle n’ont jamais été prises à défaut à ce jour. Ce qui est embêtant parce qu’il n’explique pas tout…

Six ans après la découverte du boson de Higgs, la désintégration de cette particule en d’autres particules fondamentales, les quarks b, a enfin été observée. C’est le  Cern (organisation européenne pour la recherche nucléaire) qui en a fait l’annonce mardi.

Génial ? A vrai dire, on a eu du mal à se prononcer tant le dossier est complexe. Heureusement, les physiciens Pauline Gagnon, retraitée du Cern, auteure de Qu’est-ce que le boson de Higgs mange en hiver ? (éd. Multimondes), et Roberto Salerno, chercheur au CNRS attaché au Cern où il participe à l’expérience CMS sur le boson de Higgs, ont pris le temps d’apporter à 20 Minutes quelques éclaircissements.


C’est quoi le modèle standard de la physique des particules ?

C’est peut-être par là qu’il faut commencer. « Le modèle standard de la physique des particules est un modèle théorique qui permet d’expliquer de quoi la matière est faite et comment tout cela tient ensemble », explique Pauline Gagnon.

Ce modèle a été développé dans les années 1960 et repose sur deux principes de base. « Le premier est que toute la matière est faite de particules dites fondamentales – c’est-à-dire des particules qui ne peuvent se briser en plus petit -, commence-t-elle. Il s’agit pour l’essentiel des quarks et des électrons. »

Tout cela est emboîté et tient ensemble « non pas parce que les formes entrent les unes dans les autres comme des briques de Lego, mais parce que ces particules interagissent entre elles, poursuit Pauline Gagnon. C’est le deuxième principe de base du modèle standard : les particules fondamentales interagissent entre elles par l’intermédiaire de forces. La force électrique ou la force magnétique par exemple. Il existe une autre catégorie de particules qui vont jouer le rôle de médiateur de ces forces et que les particules fondamentales vont s’échanger. C’est un peu comme si vous perceviez ma présence à côté de vous, non pas parce que nous sommes en contact physiquement mais parce que je vous lance une boule de neige. »

Ces médiateurs de force, ce sont les bosons. Dans cette catégorie, on trouve les gluons, les photons, les bosons Z et W… Et on commence à y venir : le boson de Higgs.

Qu’est-ce que le boson de Higgs ?

Le problème avec le modèle standard tel qu’il a été théorisé dans les années 1960 est qu’il ne parvient pas à tout expliquer. La plus grande de ces inconnues était l’origine de la masse des particules. « Il fallait théoriser un mécanisme spécial pour expliquer d’où venait la masse des particules », raconte Pauline Gagnon.

C’est là qu’entrent en scène les physiciens Robert Brout, François Englert et Peter Higgs. En 1964, ils ont décrit un mécanisme expliquant l’origine des masses des particules élémentaires à partir d’un nouveau champ : le champ Brout-Englert-Higgs souvent abrégé en champ de Higgs et associé à une nouvelle particule, le boson de Higgs. « Un champ est une entité physique qui modifie les propriétés de l’espace autour de lui, précise Pauline Gagnon. En présence d’un champ magnétique, tous les objets métalliques vont se mettre à se comporter différemment par exemple. »


Le champ de Higgs lui va donner une masse aux particules. « C’est comme s’il rendait l’espace autour de lui visqueux et empêchait les particules de s’y déplacer librement, à la vitesse de la lumière, poursuit Pauline Gagnon. Elles acquièrent une résistance au mouvement, ce qui est bien la définition de la masse en physique. » En les ralentissant, le champ de Higgs facilite la rencontre des particules entre elles pour créer des protons et des neutrons qui, combinés aux électrons, forment la matière.

Voilà pourquoi ce boson de Higgs, et le champ qu’il génère, sont régulièrement présentés comme la clef de voûte du modèle standard de la physique des particules, le chaînon manquant sans lesquels les particules ne se rencontreraient jamais.

En quoi l’observation de la désintégration d’un boson de Higgs en deux particules de quarks bottom est-elle importante ?

L’annonce faite par les chercheurs du Cern conforte un peu plus encore le modèle standard de la physique des particules et la théorie du boson de Higgs. Car il ne faut pas oublier que ce qu’émettent Robert Brout, François Englert et Peter Higgs n’est qu’une théorie en 1964. Il restait à la vérifier, processus qui n’est pas encore terminé.

C’est tout le travail du Cern à l’aide de son grand collisionneur de Hadrons (LHC), installé à la frontière franco-suisse. Ce tunnel en forme d’anneau, long de 27 kilomètres et dans lesquels des faisceaux de protons s’entrechoquent pour former des particules, est le plus grand accélérateur de particules au monde. « Cela a pris 50 ans mais, en juillet 2012, nos recherches dans le LHC ont fait un grand pas en avant avec la première observation expérimentale du boson de Higgs, rappelle le physicien Roberto Salerno, chercheur au CNRS et attaché au Cern où il participe à l’expérience CMS.

Il ne s’agissait que d’une première étape, d’autres informations devaient encore être vérifiées et mesurées. « Le boson de Higgs est une particule instable qui à peine formée, se désintègre en d’autres particules, reprend Roberto Salerno. Le modèle standard prédit notamment que, dans 60 % des cas, le boson de Higgs se décompose en une paire de quarks bottom (ou quarks b). »

C’est ce point que les physiciens du Cern voulaient observer. « C’est très compliqué dans la mesure où il y a beaucoup de phénomènes physiques qui produisent du quark b, explique le physicien. Toute la difficulté était de parvenir à isoler des événements qui contenaient des quarks b et d’être certains qu’ils venaient de la désintégration de boson de Higgs. »

Six ans de travail supplémentaire ont été nécessaires pour accumuler suffisamment d’événements pour confirmer la prédiction du modèle standard selon laquelle, dans 60 % des cas, le boson de Higgs se décompose en une paire de quarks b.

Sait-on tout désormais du boson de Higgs ?

Loin de là, les physiciens du Cern ont encore quelques années de travail devant eux. Mieux vaut même compter en décennies. « Nous avons observé à ce jour un peu plus de 90 % des modes de désintégration de bosons de Higgs, évalue Roberto Salerno. Il nous reste à observer les 10 % restant. Cela nécessitera d’accumuler encore plus de données et d’utiliser un accélérateur de particules plus puissant encore. Une machine améliorée, appelée Haute Luminosité LHC remplacera l’actuelle en 2025 et devrait faciliter l’observation de nouveaux modes de désintégration des bosons de Higgs et vérifier les mesures prédites par le modèle standard. »

Pourquoi faut-il espérer trouver une anomalie dans le modèle standard ?

Tout l’objet des travaux du Cern est de confirmer ou d’infirmer les hypothèses établies par le modèle standard.

Pour l’instant, il n’a jamais été pris à défaut, ce dont se désole presque Pauline Gagnon : « Le modèle standard est un super modèle, qui nous fait des prévisions incroyables que nous pouvons vérifier à la huitième décimale près, commence-t-elle. Mais ce modèle, censé décrire tout le monde physique autour de nous, a une limite : il ne parvient pas à expliquer la matière sombre [ou matière noire]. »

La matière sombre ? « Dans l’univers, nous nous rendons peu à peu compte qu’il y a beaucoup plus de matière que l’on en voit à l’œil nu, poursuit la physicienne. La matière qu’on connaît est celle qui émet de la lumière quand on la chauffe. Mais dans l’univers, il y a à peu près cinq fois plus de matière sombre - qui n’émet pas de lumière - que de matière visible. Et sur cette matière sombre, nous ne savons pratiquement rien. »

D’où cet espoir de déboucher sur des anomalies dans les dernières prévisions qui restent à vérifier dans le modèle standard. « Si on parvient à découvrir une divergence entre la prévision du modèle et ce qu’on observe alors on pourra se dire qu’on tient une piste pour comprendre ce qu’est la matière sombre », espère Pauline Gagnon.