A-t-on découvert une nouvelle catégorie de trous noirs?

INTERVIEW Deux équipes de chercheurs viennent d’annoncer avoir observé coup sur coup deux de ces puits sans fond absorber deux étoiles. Une nouvelle catégorie de trous noirs aurait même été découverte. Explications…

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen
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Un trou noir en train d'avaler une étoile.
Un trou noir en train d'avaler une étoile. — AFP PHOTO / SHEFFIELD UNIVERSITY / MARK A. GARLICK
  • Les trous noirs sont comme des puits sans fonds, des objets célestes au champ gravitationnel si fort qu’ils absorbent tout ce qui passe trop près. Y compris les étoiles.
  • Ce week-end, la Nasa a affirmé avoir observé un trou noir avaler une étoile nichée entre deux galaxies en collision à 150 millions d’années-lumière de nous. Ce lundi, c’est au tour d’une autre équipe de chercheurs, de communiquer sur une autre observation similaire.
  • Cette seconde observation aurait même permis de découvrir une nouvelle catégorie de trous noirs, dits intermédiaires, entre les trous noirs stellaires, nés de l’explosion d’une étoile, et les trous noirs super-massifs qu’ont dans leur cœur de nombreuses galaxies.

Après la Nasa, l’ Agence spatiale européenne (Esa). A 24 heures d’intervalle, des chercheurs des deux institutions communiquent sur un phénomène spectaculaire qu’elles ont toutes deux observé : des étoiles avalées par des trous noirs, ces fameuses concentrations de masse-énergie si denses qu’aucun rayonnement n’en sort.

Le phénomène observé par la Nasa s’est passé à 150 millions d’années-lumière de la Terre : le trou noir, surveillé depuis sa découverte en 2005, a aspiré une étoile située entre deux galaxies en collision baptisées Arp 299. De son côté, une équipe internationale de chercheurs, exploitant les données de l’observatoire XMM-Newton de l’Esa, a pu observer un autre trou noir, cette fois-ci dans la galaxie GAL1, absorber les restes d’une étoile passée trop près.

Cette deuxième observation a permis de mettre en évidence un trou noir d’un nouveau type, dit de masse intermédiaire. Les résultats de ces travaux sont publiés ce lundi dans la revue scientifique Nature Astronomy.

Didier Barret, chercheur à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP à Toulouse), a participé à ces travaux. Il répond aux questions de 20 Minutes.

La Nasa et l’Esa qui annoncent quasi simultanément avoir filmé un trou noir engloutir une étoile, c’est étonnant non ?

C’est une drôle de coïncidence, en effet. Ceci dit, l’observation des trous noirs est aujourd’hui un domaine de recherche très actif et beaucoup d’observatoires sont à l’affût de tels phénomènes. La raison en est simple : un des grands enjeux actuels est de parvenir à comprendre comment les trous noirs se forment, évoluent et grossissent dans l’univers. Pour y parvenir, il nous faut étudier un maximum de trous noirs dans des conditions diverses. Or, ces trous noirs sont par définition indétectables. Sauf lorsque de la matière chute à l'intérieur. Elle émet alors un dernier rayonnement électromagnétique. De la lumière autrement dit, que nous pouvons détecter avec nos télescopes. Le trou noir devient alors perceptible.


Que faut-il comprendre lorsque la Nasa ou l’Esa disent avoir filmé un trou noir avaler une étoile ?

Quand on parle d’un événement qui s’est passé à 150 millions d’années-lumière de la Terre, il faut déjà avoir en tête que la lumière émise sur place a mis 150 millions d’années-lumière à nous parvenir. Autrement dit, on est très loin d’un direct. Et puis, « filmer » n’est peut-être pas le terme exact. Pour rendre compte de cette absorption d’une étoile dans la galaxie GAL1, nous avons compilé les observations que nous avions répétées sur plusieurs années. La première en 2006, puis en 2009, en 2014 et en 2016. D’une certaine façon, on procède de la même manière qu'on compilerait les meilleurs clichés d’un mariage. L’échelle de temps n’est juste pas la même.

Qu’appelle-t-on exactement un trou noir ?

C’est un puits infini, sans fond, creusé par la gravité. Il est tellement profond que vous avez des particules de lumière qui essaient de remonter le long des parois sans y parvenir faute d’énergie suffisante. Ces trous noirs peuvent avoir des masses gigantesques [celui observé par la Nasa était d’une masse 20 millions de fois supérieure à celle du Soleil] mais leur rayon reste finalement relativement petit. Le rayon d’un trou noir de 100.000 masses solaires fait à peu près 100.000 km. Imaginez alors la concentration d’énergie qu'un trou noir enferme. Et donc leur force gravitationnelle. L’étoile qui s’approche trop près de ce champ de gravité – à quelques années-lumière, finit comme une espèce de crêpe géante, déformée par des effets de marée extrêmement fort. Et une fois absorbée par le trou noir, l’étoile est perdue à jamais pour l’univers observable. Quant à la matière absorbée, elle contribue à faire grossir un peu plus encore la masse du trou noir.

Dans Nature Astronomy, vous affirmez avoir mis en évidence un nouveau type de trou noir… De quoi s’agit-il exactement ?

Il s’agit de trous noirs de masse intermédiaire qui feraient de quelques milliers à quelques centaines de milliers de fois la masse du Soleil. On les dit intermédiaires parce qu’ils seraient entre deux catégories de trous noirs jusque-là connues. D’un côté, les trous noirs supermassifs, dont la masse est de l’ordre d’un million de masses solaires ou plus. Nous les rencontrons au cœur d’un grand nombre de galaxies. A partir d’une certaine taille, d’une certaine masse, elles possèdent toutes des trous noirs. La Voie lactée ne fait pas exception. Nous connaissons aussi, de l’autre côté de l’échelle, les trous noirs stellaires. Plus petits, ils constituent ce qui reste de l’explosion d’une étoile de grande masse.

Il nous reste à comprendre l’origine de ces trous noirs intermédiaires. Plusieurs hypothèses sont sur la table : ils pourraient avoir été constitués par l’effondrement de très grands nuages de gaz, très tôt après le Big Bang ou être le résultat de fusions de trous noirs stellaires. Mais notre étude soulève un deuxième point intéressant : ce trou noir intermédiaire a été trouvé dans la proche périphérie de la galaxie Gal1. Pas si loin du centre donc. Nous pensons alors que ces trous noirs de masse intermédiaire sont le chaînon manquant pour expliquer la présence de trous noirs super-massifs. Nous avions jusque-là du mal à comprendre l'existence de ces derniers. Certes, les trous noirs croissent à mesure qu’ils absorbent de la matière. Mais la masse de ces trous noirs super-massifs est telle qu’on peut difficilement l’expliquer par ce simple mécanisme. Ces trous noirs super-massifs pourraient être en réalité le résultat de la fusion de trous noirs intermédiaires. Nous pensons d’ailleurs que la destinée du trou noir que nous avons observé est de finir sa course dans le trou noir super-massif de GAL1.