VIDEO. Toulouse: Dix hommes préparent les vols habités… allongés, le corps incliné à 6 degrés

SCIENCES Pour limiter les effets de l’impesanteur sur le corps des astronautes, des volontaires participent jusqu’au mois de décembre à une campagne qui permet de tester l’impact d’un cocktail d’antioxydants et anti-inflammatoires. Reportage…

Béatrice Colin
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Gaël, l'un des volontaires de la campagne Bedrest, réalisée à la clinique spatiale de Toulouse pour reproduire les effets de l'impesanteur.
Gaël, l'un des volontaires de la campagne Bedrest, réalisée à la clinique spatiale de Toulouse pour reproduire les effets de l'impesanteur. — B. Colin / 20 Minutes
  • Deux sessions de cette campagne d’alitement baptisée Cocktail ont été programmées cette année, une entre janvier et avril et la seconde toujours en cours.
  • Dix hommes de 20 à 44 ans sont allongés durant deux mois à la clinique spatiale de Toulouse, la tête inclinée vers le sol de 6 degrés

Ils ne verront jamais la Terre vue du ciel, ne connaîtront jamais l’effet que l’on ressent lorsque son corps flotte. Et pourtant, Gaël, Mathieu, Sébastien et sept autres hommes vivent depuis plusieurs jours dans les conditions d’un vol habité et bossent pour le CNES et l’Agence spatiale européenne. Mais leur horizon se limite au ciel toulousain et aux murs de la clinique spatiale du CHU de Rangueil (Medes).

Ces Français de 20 à 44 ans participent depuis le mois de septembre à une campagne «Bedrest» baptisée «Cocktail», ces études d’alitement qui consistent à reproduire les effets indésirables de l’impesanteur sur le corps humain pour mieux les comprendre afin de mieux les endiguer.

Presque coupés du monde, comme les astronautes

Recrutés en début d’année, ces étudiants, ingénieurs, célibataires ou pères de famille, ont tous été d’accord pour s’allonger durant deux mois pour faire avancer la science, et être auscultés 14 jours avant et 14 jours après.


« J’ai toujours été passionné par ce qui se passe dans l’Espace. Je suis étudiant et ma thèse de recherche porte sur la cohabitation dans le voyage spatial au cinéma, c’était donc pertinent de le faire », avance Mathieu, un Bordelais de 33 ans qui est allongé depuis 55 jours.

Check-up médical ultra-complet

Ce dernier ne cache pas non plus que l’indemnisation de 16.000 euros versée sur quatre années a été l’un des moteurs. Car durant trois mois, comme un astronaute peut l’être à 500 km au-dessus la Terre, il a été coupé de sa famille, rélié à ses proches uniquement par Skype et le téléphone. Pour rester en contact avec les autres volontaires, qui se trouvaient dans des pièces voisines, ils ont même créé un groupe WhatsApp, histoire d’échanger sur les expériences en cours ou pour se donner rendez-vous lors d’un match de l’équipe de France… mais toujours allongés.

Une semaine avant de retrouver le plancher des vaches, Mathieu trouve encore un intérêt à cette expérience. « Vous ne pourrez pas avoir un check-up plus complet et c’est enrichissant, on apprend plein de choses lors de nos échanges avec les médecins. Le bénéfice est aussi personnel sur ce que l’on peut apprendre sur soi », relève le Girondin qui partage sa chambre avec un autre volontaire.

Comme ses petits camarades, il a suivi de nombreux examens, fait face à des moments d’usure car il est parfois dur de tout faire allongé la tête inclinée de 6° vers le sol, douche comprise. Sans parler du fait de devoir être dépendant des autres pour tout.

Contrer les effets de l’impesanteur

Ce sportif a perdu beaucoup de masse musculaire, l’un des impacts de l’impesanteur. Tout comme le développement de troubles métaboliques comme le diabète de type 2 ou des cas d’obésité. Sans parler de la perte de masse osseuse.

Pour essayer de limiter tous ces phénomènes, des contre-mesures sont étudiées. Celle de cette campagne consiste à faire ingérer un cocktail d’antioxydants et d’anti-inflammatoires aux 10 volontaires de cette session, une première ayant eu lieu entre janvier et avril dernier.

« Quand je suis rentrée dans les années 2000 au Medes, les contre-mesures étaient très centrées sur l’exercice physique, à courir sur un tapis avec des résistances comme cela existe dans la Station spatiale internationale. Mais sur des vols longs, cela ne sera pas suffisant, depuis dix ans on regarde ce qui peut-être fait pour modifier les choses dans l’alimentation qui pourrait être utile », explique Marie-Pierre Bareille, responsable de l’étude.

Adaptation du métabolisme pour les vols longs

Car lorsque des astronautes embarqueront pour Mars, la question de la nourriture sera primordiale. Elle devra être présente en quantité suffisante pour la survie de ceux qui partiront, mais elle a aussi un coût car une barquette de 500 grammes de risotto aux morilles embarqués, c’est une facture de 10.000 euros.

« C’est important d’étudier l’adaptation du métabolisme, sa capacité à brûler les graisses, où est-ce qu’elles sont stockées et quelles sont leurs origines. Cela peut nous permettre de savoir si on doit donner une diète enrichie en lipides, en protéines », poursuit Audrey Bergouignan, chercheuse CNRS à l’Institut Hubert-Curien de Strasbourg. Elle fait partie d’une des 16 équipes ayant ausculté Stéphane et les autres volontaires.