Jean-Loup Chrétien: «La mission chinoise sur la Lune va réveiller les autres nations»

Vincent Vanthighem
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Jean-Loup Chrétien a bord de la navette Atlantis, en 1997.
Jean-Loup Chrétien a bord de la navette Atlantis, en 1997. — NASA IMAGE / AFP

A 75 ans, il regarde toujours les étoiles avec autant d’enthousiasme. Sauf qu’il le fait désormais depuis les fenêtres de sa maison de Morlaix (Finistère) et non plus depuis les hublots de la station MIR. Premier Français envoyé dans l’espace (mission franco-russe PHV en 1982), Jean-Loup Chrétien revient pour 20 Minutes sur l’alunissage de la sonde spatiale chinoise Chang’e-3.

Les Chinois sont parvenus samedi à faire alunir en douceur leur sonde Chang’e-3. De quel œil voyez-vous cette mission?

On s’y attendait. Cela fait dix ans que les Chinois se sont lancés dans la conquête spatiale. C’est la troisième nation à y parvenir après les Etats-Unis et la Russie. Leur démarche est nette. Ils ne sont pas pressés. Mais ils se donnent tous les moyens pour y parvenir. Je pense et j’espère que cela va réveiller les autres nations.

C’est-à-dire…

Les Etats-Unis s’étaient un peu endormis ces derniers temps. Mais si les Chinois viennent les titiller, ils pourraient bien se lancer dans de nouvelles missions de conquêtes spatiales. Qu’on le veuille ou non, on est toujours dans une histoire de suprématie.

Croyez-vous que c’est pour cette raison que la Chine a lancé son programme spatial?

Il y a deux éléments. Le premier élément est en effet la fierté nationale. Pour les Chinois, la réussite de la mission est aussi importante en interne qu’en externe. Il s’agit de rendre le peuple fier de son pays. Ensuite, la Chine a sans doute de grandes ambitions stratégiques. Ils ont besoin d’asseoir leur politique spatiale à un moment de grande communication. C’est un tour de force de réussir à faire alunir un robot en moins de dix ans.

Pensez-vous qu’ils puissent aller plus loin dans la conquête?

Eux seuls ont la réponse. Veulent-ils simplement rattraper les autres nations? Veulent-ils les dépasser? L’avenir nous le dira.

Quelle attitude la France et l’Europe peuvent adopter dans ce contexte?

L’Europe a une population un peu plus importante que les Etats-Unis. Mais le budget de la Nasa est quatre fois supérieur au notre. Nous sommes donc à la remorque des américains. Il est difficile de faire autrement.

Quels sont les projets actuels en matière de conquête spatiale?

Avec la station spatiale internationale (ISS), on continue à s’habituer à vivre dans l’espace. Mais ça, c’est dernière nous. Aujourd’hui, nous avons l’espoir de voir de nouvelles portes s’ouvrir. Notamment avec les astéroïdes et les points de Lagrange. Et puis, bien sûr, tout le monde pense à Mars

Une mission sur Mars, c’est réalisable?

C’est surtout très loin. Pour faire une comparaison, la Lune se situe en banlieue quand Mars est carrément outre-Atlantique. A l’échelle de la vitesse de la lumière, la Lune est à une seconde alors que la planète rouge est à huit minutes. Ce n’est donc pas pour tout de suite.

Même si les Chinois décident d’accélérer leur programme spatial…

Si les Chinois continuent de titiller les Américains, on peut voir quelque chose se passer. Aujourd’hui, on a la technologie pour aller sur Mars. Il n’y a que deux questions à poser. La première, c’est a-t-on la volonté d’y aller. La seconde, c’est de savoir quels moyens financiers on est prêts à mettre pour cela. Et puis, il y a aussi la notion de prise de risques…

Que voulez-vous dire?

Contrairement aux années 1970 / 1980, nous ne sommes plus prêts aujourd’hui à prendre des risques inconsidérés, notamment en terme de pertes humaines. Pour un conflit armé, une guerre, nous sommes prêts. Mais pas pour la conquête spatiale. Imaginez qu’on envoie une mission sur Mars, qu’elle échoue et fasse des victimes humaines, il y aurait une levée de boucliers énorme. L’opinion publique n’est pas prête à sacrifier des hommes pour aller sur Mars…