En Nouvelle-Calédonie, le parcours de la PMA « une vraie galère » et beaucoup de « perte de temps »
Parcours médicalement ardu Seules une gynécologue et une biologiste sont présentes sur le territoire d’outre mer pour répondre aux demandes de PMA pour les couples hétérosexuels
- La Nouvelle-Calédonie ne compte qu’un seul centre pour réaliser une procréation médicalement assistée, rendant le parcours parfois long et compliqué.
- Les patients sont tributaires des aléas du centre, de la présence de l’unique médecin et de l’unique biologiste présentes sur l’archipel français.
- Plusieurs personnes ont accepté de se confier à 20 Minutes sur leur parcours.
Pour plus de 270.000 habitants, la Nouvelle-Calédonie compte un seul centre qui pratique la procréation médicalement assistée (PMA) ou assistance médicale à la procréation (AMP). Dans ce centre hospitalier territorial Gaston-Bourret (CHT), une gynécologue et une biologiste. Deux personnes pour s’occuper de toutes les demandes de PMA du territoire d’Outre-mer français (TOM) situé en Océanie. Alors si elles s’absentent, pour des congés par exemple ou un arrêt maladie, c’est toute l’activité qui est à l’arrêt.
« Mais on reste raisonnables », signale à 20 Minutes Clotilde Dechanet, la gynécologue de l’archipel qui souligne qu’en effet, la Nouvelle-Calédonie, comme de nombreux départements français, fait face à une « pénurie de médecins ». Mais le recrutement est plus compliqué qu’ailleurs en raison des 23.000 km et les 24 heures de vol qui séparent l’archipel de la métropole. C’est une différence de taille. Le remplacement d’un médecin sur le pouce est quasi impossible. Et si le feeling ne passe pas avec l’unique médecin, le couple n’a pas le choix.
La PMA ou « la dernière roue du carrosse »
« Les patients sont dépendants de notre planning et les délais d’attente vont être prolongés », poursuit Charlotte Mauroy, la biologiste. « On aimerait bien être plus nombreuses, ajoute-t-elle, dans l’idéal être deux gynécos et deux biologistes car aujourd’hui on ne peut pas voir tout le monde. Certaines patientes laissent tomber. » Déborah Guerot, 38 ans, référente locale de l’association Collectif BAMP, aurait bien aimé aussi avoir « plus de choix pour avoir des avis différents ». De plus, pour certaines femmes, le temps est compté.
Quelques mois peuvent être déterminants pour tomber enceinte. Elodie (le prénom a été modifié à la demande de la personne), 39 ans, qui a commencé à 32 ans son parcours de PMA. Après les quatre FIV (fécondation in vitro) remboursées par la caisse d’assurance maladie locale (la Cafat), toujours aucun résultat. Comme d’autres patientes, Elodie a fait face à de nombreux aléas lors de son parcours et, à chaque fois, « c’est une perte de temps, du jour au lendemain, tout s’arrête », se souvient amèrement Déborah Guerot. Comme quand le seul biologiste de l’époque est parti en arrêt maladie, Elodie était « prête à passer sur le billard » mais, sans lui, impossible de continuer. Un mois plus tard, nouvelle tentative, mais la crise sanitaire en a décidé autrement. Nouvel arrêt total.
Des imprévus qui peuvent être fatidiques
Dans ce parcours semé d’embûches, « bien galère », comme Elodie le décrit, le déménagement de l’hôpital en 2017 lui aura également fait perdre un temps précieux. D’autant que le service de PMA a été le dernier à être remis en place, « comme la dernière roue du carrosse », souligne Elodie. La PMA « ne semble pas prioritaire, en retrait, par rapport aux autres soins », confirme Clotilde Dechanet. « Ça rallonge », abonde-t-elle. Autant d’imprévus qui ont mis à mal ses projets de grossesse et ont laissé place à « beaucoup de douleur et de chagrin ».
Alors certaines partent faire leur FIV ou leurs inséminations artificielles en métropole, pour gagner du temps. Elodie y a pensé pour la dernière tentative en pensant « qu’avec un changement d’environnement, une autre approche, une autre technique, les choses pourraient être différentes ». Mais il faut débourser un paquet d’argent : comptez plus de 1.000 euros le billet aller-retour par passager. Additionnez à cela le coût de l’intervention qui n’est pas pris en charge par la Cafat quand elle est effectuée hors de Nouvelle-Calédonie. « Il y a donc beaucoup d’inégalités entre les patientes », souligne Charlotte Mauroy. Déborah Guerot a aussi fait le choix de l’étranger. Elle a finalement réussi à tomber enceinte après sept à huit ans d’inséminations et de FIV grâce à un don d’ovocytes en République tchèque « sur la dernière année ».
Encore beaucoup de retard sur la législation
Dans le seul service de PMA de tout l’archipel, Clotilde Dechanet et Charlotte Mauroy gèrent entre 900 et 1.200 demandes par an pour infertilité de la part de couples hétérosexuels, seulement. Car la collectivité d’outre-mer a pris du retard sur la prise en charge des femmes seules et des couples homosexuels. « Une question sociétale et politique », analyse la gynécologue. Alors la mise en place de la loi bioéthique, même si elle prend du retard plus de deux ans après son vote, demande aux deux professionnelles « beaucoup de travail ». « On priorise certaines choses donc on prend du retard sur d’autres », complète Clotilde Dechanet.
Etre seulement deux veut aussi dire être seules face à leur choix, prendre des décisions parfois difficiles, sans aucun collègue pour partager, conseiller. Ceci sans compter les rencontres politiques, les sollicitations des médias, etc. « On a une casquette très polyvalente pour laquelle on n’est pas tellement formées », commente Clotilde Dechanet. Le duo négocie aussi pour la création d’une banque de sperme, dont l’absence est considérée comme un « réel manque » par Déborah Guerot. Cette dernière milite également pour ouvrir la possibilité de dons d’ovocyte en Nouvelle-Calédonie.
Difficile mais pas impossible
Heureusement, ni Clotilde Dechanet, ni Charlotte Mauroy n’ont envie de quitter l’archipel. « C’est dur, mais on a envie de continuer », assurent-elles d’une même voix. D’ailleurs l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. Déborah Guerot souligne qu’en Mayenne, où elle habitait avant de déménager à Nouméa, « il n’y avait pas de centre AMP » et qu’il n’y en a pas non plus en Polynésie française.
Elodie, elle, « n’a pas fait le deuil [d’avoir un enfant] car ça n’a jamais existé », mais elle est « apaisée » avec l’idée qu’elle ne donnera jamais naissance. La jeune femme a toutefois une bonne nouvelle à annoncer : elle va accueillir une petite fille dans son foyer grâce à l’adoption et fonder la famille dont elle a toujours rêvé.