« J’étais persuadée d’être pédophile »… Les phobies d’impulsion, ou la peur de commettre le pire
santé mentale•La phobie d’impulsion se caractérise par des obsessions, c’est-à-dire des pensées envahissantes, gênantes et très désagréables, générant une forte anxiétéLise Abou Mansour
L'essentiel
- La phobie d’impulsion est une pathologie psychiatrique issue de la famille des troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Elle est caractérisée par des obsessions, comme la peur de lâcher son bébé, de commettre un inceste, de se suicider ou d’insulter quelqu’un, voire de le tuer. Ces pensées envahissantes, gênantes et très désagréables génèrent une grande anxiété.
- « Les pensées tournent toujours autour de questionnements moraux, de l’interdit, explique Cédric Daudon, psychologue cognitiviste. Elles sont souvent à l’opposé des valeurs de la personne. »
- « On ne recense absolument aucun passage à l’acte, tient à préciser David Masson. Les personnes souffrant de phobie d’impulsion ne risquent pas de perdre le contrôle puisqu’elles sont constamment dans l’hypercontrôle. »
Depuis quatre ans, Célia vit avec une peur intense qui ne la quitte jamais : celle d’agresser sexuellement sa petite filleule. Du matin au soir, cette femme de 35 ans est assaillie par des pensées dérangeantes la persuadant qu’elle va commettre l’impensable. « Je me disais “tu es bizarre, tu es hypertactile avec elle et tu regardes toujours sa culotte quand elle est en robe.” J’étais persuadée d’être pédophile. » Ses vacances en famille se transforment en cauchemar. « J’étais contente d’aller me coucher pour enfin ne plus subir ces pensées. C’était devenu invivable. » Sauf que la trentenaire n’est pas du tout pédophile. Elle souffre de phobie d’impulsion. Une pathologie psychiatrique méconnue.
La phobie d’impulsion est une maladie psychique issue de la famille des troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Elle est caractérisée par des obsessions, c’est-à-dire des pensées envahissantes, gênantes et très désagréables, générant une forte anxiété. « C’est la peur de pensées qu’on croit vraies, plausibles et possibles, résume Cédric Daudon, psychologue cognitiviste. La peur de perdre le contrôle de soi-même. » Les préoccupations sont multiples : peur de lâcher son bébé, d’écraser un piéton en voiture, de se faire du mal ou d’insulter quelqu’un, voire de le tuer. « C’est souvent lié à ce qui est le plus important pour nous, comme une jeune maman qui redoute de faire du mal à son enfant, explique le psychologue. Cela concerne toujours un acte répréhensible, voire irréversible. » Un tiers des personnes souffrant de TOC ont des phobies d’impulsion, soit un peu moins d’1 % de la population. 600.000 Français donc, tout de même.
Ni des éléments délirants, ni des pulsions refoulées
Le calvaire de Célia n’a pas commencé par sa peur incestueuse. A 20 ans, la jeune femme était persuadée d’avoir le Sida. Cela a duré un an et demi. A la trentaine, elle était certaine qu’elle allait tromper son compagnon, bien qu’elle n’en avait aucune envie. « J’étais stressée, angoissée. Je pleurais tout le temps. Je n’en dormais plus. Je me disais que j’étais une mauvaise personne. » Peu de temps après, une nouvelle phobie d’impulsion vient perturber ses pensées : Célia a peur de se suicider. Toujours sans en avoir la moindre envie.
Vous l’aurez compris, les phobies d’impulsion sont bien différentes des pensées fugaces qui nous traversent toutes et tous après avoir subi une queue de poisson en voiture, une remarque salace en pleine rue, ou face à un enfant qui hurle depuis des heures. Généralement, ces pensées disparaissent au bout de quelques minutes. Mais si elles deviennent trop envahissantes et invalidantes, nous font souffrir et nous font douter de nous-même et de notre capacité à nous contrôler, il peut s’agir d’une phobie d’impulsion.
« Il s’agit d’obsessions égodystoniques, c’est-à-dire que ces pensées sont à l’opposée des valeurs de la personne », souligne David Masson, psychiatre au Centre psychothérapique de Nancy et responsable départemental du Centre universitaire de remédiation cognitive et rétablissement du Grand-Est. Les personnes ayant ce type de pensées sont bien ancrées dans la réalité mais persuadées qu’elles peuvent passer à l’acte. Et cela les terrifie. « Ce ne sont ni des éléments délirants, ni des pulsions refoulées, ni les signes d’une perversité », tient à préciser le psychiatre.
L’évitement, renforçateur de la pensée
Depuis, Célia fait attention à la manière dont elle porte sa filleule, pour être sûre de ne pas la toucher au mauvais endroit. Et ça peut aller plus loin. Un patient du docteur Masson ayant le même type de phobie envers sa fille a décidé de ne plus rester seul avec elle. Un autre de Cédric Daudon ayant constamment peur de se suicider a fini par déménager en rez-de-chaussée, de peur de se défenestrer. C’est ce que l’on appelle des comportements d’évitement.
Le problème : ce même évitement est un renforçateur de la pensée. « On se dit qu’il ne s’est rien passé parce qu’on n’a pas été exposé à la situation qui pose problème, analyse le psychiatre. Alors on va continuer à éviter cette situation ».
La difficulté d’en parler
Et il n’est pas simple d’en parler. « Certains patients tournent autour du pot pendant longtemps avant de me dire qu’ils ont ces pensées », témoigne le psychologue. Célia, elle, a décidé d’en parler à sa famille et ses amies les plus proches. « J’ai prévenu mes parents et mes sœurs en me disant que s’ils voyaient quelque chose de mal, ils me dénonceraient, confie-t-elle, la voix tremblante. Au pire, j’irai en prison, mais au moins ça sauvera la vie de ma filleule. »
Sa sœur ne l’a pas vraiment crue. « Elle m’a dit “c’est n’importe quoi”. En même temps, c’est rassurant. Cela veut dire qu’elle sait que je serais incapable de faire du mal à sa fille. » Car en parler (à des personnes compréhensives et bienveillantes) a du bon. Sa meilleure amie, qui s’est renseignée sur cette pathologie, l’aide à dédramatiser. Quand Célia est en crise, elle lui envoie des messages vocaux pour lui assurer « non, tu ne vas pas le faire ». « Cela me rassure beaucoup. »
« Absolument aucun passage à l’acte »
Si une autre chose peut rassurer Célia, c’est l’absence de risque. « On ne recense absolument aucun passage à l’acte, rappelle David Masson. Les personnes souffrant de phobie d’impulsion ne risquent pas de perdre le contrôle puisqu’elles sont constamment dans l’hypercontrôle. »
Après quatre ans de psychothérapie et la prise d’antidépresseurs, Célia va « 10.000 fois mieux ». Certaines de ces phobies d’impulsion, comme le suicide, ont totalement disparu. « J’arrive à me dire “tu sais que c’est un TOC” ». Concernant ces pensées incestueuses, elle se sent un peu plus apaisée mais cela reste « une bataille de tous les jours ».
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