Pilule contraceptive masculine : « Ça serait bien que les hommes puissent (enfin) en avoir une »
EgalitE homme femme En 1967, la pilule contraceptive devenait légale. Près de soixante ans plus tard, du côté des hommes, un cachet similaire ne parvient pas à voir le jour
- En 2023, pour la gent masculine, aucun moyen de contraception agréé et réversible n’existe, mis à part le préservatif.
- En raison des effets secondaires – baisse de libido, prise de poids – pourtant similaires à ceux que subissent les femmes, l’immense majorité des recherches pour une contraception masculine ont été abandonnées.
- « Les hommes n’ont jamais demandé à avoir une contraception. Ils sont bien contents de ne pas avoir à subir cette charge », indique Guillaume Daudin, journaliste et coauteur de la BD Les Contraceptés - Enquête sur le dernier tabou.
Une fois par jour, un tiers des Françaises voient s’allumer sur leurs téléphones une alerte : « C’est l’heure de la pilule ». Depuis 1967, date de l’adoption de la loi Neuwirth, des milliers puis des millions de femmes ont eu recours à ce petit cachet bourré d’hormones pour contrôler leur fertilité. « Ma pilule, c’est une charge mentale quotidienne », souffle Marie, 23 ans. « Ça serait bien que les hommes puissent en avoir une », nous glisse l’étudiante. Car oui, depuis l’arrivée de la pilule contraceptive, dans un couple hétéronormé, la charge de la procréation incombe à la femme. Mais, en 2023, pour la gent masculine, aucun moyen de contraception agréé et réversible n’existe, mis à part le préservatif.
Pourtant, la recherche en faveur d’une pilule contraceptive ne date pas d’hier. En 1976, le docteur Salat-Baroux et son équipe effectuaient le premier essai made in France d’une contraception hormonale masculine en associant un progestatif oral à des implants de testostérone. « Les résultats étaient intéressants car l’azoospermie a été atteinte en 2 à 3 mois », écrit le docteur Jean-Claude Soufir, dans un article scientifique retraçant l’évolution en faveur de cette recherche. Ce dernier a lui même participé à l’étude d’un traitement quotidien contenant une pilule et un gel contraceptif quelques années plus tard. Mais, en raison des effets secondaires – baisse de libido, prise de poids – l’immense majorité des recherches pour une contraception masculine ont été abandonnées. À ce jour, il existe quelques moyens de contraception pour les hommes, qui restent cependant confidentiels et non reconnus par le ministère de la Santé, comme la méthode thermique ou l’injection intramusculaire hebdomadaire d’un dérivé de testostérone. La vasectomie doit quant à elle être considérée comme définitive, le taux de réussite de l’opération inverse étant comprise entre 30 et 70 %.
« Si l’occasion se présentait, je la prendrais volontiers »
Pour comprendre le présent, il faut reconnaître le passé. « Avant la légalisation et la diffusion de la pilule et du stérilet, la charge de la contraception était davantage partagée », explique à 20 Minutes Mireille Le Guen, démographe à l’Institut national d’études démographiques et coautrice d’une étude intitulée Les hommes face à la contraception : entre norme contraceptive genrée et processus de distinction. « La charge de la contraception n’a pas toujours été dévolue aux femmes. Elles se sont battues pour l’avoir, dans un contexte où elle était aux prises d’un destin procréatif imposé », ajoute l’experte.
Mais 2023 n’est pas 1967. Depuis quelques années, « on observe un changement des comportements autour de cette charge », nous explique Guillaume Daudin, journaliste et auteur de la BD Les Contraceptés - Enquête sur le dernier tabou, coécrite avec le journaliste Stéphane Jourdain et illustrée par Caroline Lee. « Avec la crise des pilules de 3e et 4e générations au début des années 2010, l’évolution de la société, la question du partage des tâches et la prise en compte de la charge mentale des femmes, les jeunes générations semblent prêtes à aborder la question de la contraception masculine », précise le journaliste.
Dans une étude parue en 2021 dans nos colonnes, en partenariat avec l’institut de sondage OpinionWay, 37 % des hommes de 18-30 ans se déclaraient prêts à recourir à une pilule contraceptive masculine remboursée. Pour Alex, 19 ans, un tel dispositif serait le bienvenu. « Si l’occasion de soulager ma copine se présentait à moi, je la prendrais volontiers », souligne l’étudiant d’origine bordelaise.
Mais alors, où est-ce que ça coince ?
Problème : les premiers concernés ne sont pas tous partants. « Les hommes n’ont jamais demandé à avoir une contraception. Ils sont bien contents de ne pas avoir à subir cette charge », indique Guillaume Daudin. Et même si ces derniers sont près de 90 % à discuter contraception avec leurs partenaires comme le montre notre étude réalisée en 2021, pour beaucoup, ce n’est pas synonyme d’une volonté de soulager leurs compagnes.
Parmi les freins à l’existence d’une pilule contraceptive masculine, Guillaume Daudin déplore également une absence d’actions des pouvoirs publics : « L’Etat ne nous a jamais vraiment poussés à y réfléchir. Ils ont vu que c’étaient les femmes qui s’en occupaient et qu’elles le faisaient bien. »
Du côté de la recherche privée, les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas forces de proposition. « Ils sont plus enclins à investir dans des changements de dosages ou d’assimilation de la pilule féminine. Les laboratoires ont peur qu’un tel produit ne trouve pas son public », explique Mireille Le Guen. Un point protocolaire ralentit également le développement d’une contraception masculine : lors de l’étude de ces médicaments, la balance bénéfice/risque n’était pas respectée. Sans traitement, les hommes ne risquent rien, alors que les femmes peuvent tomber enceintes. Mais avec, ils encourent plusieurs possibles effets secondaires – très similaires à ceux observés chez la femme. « Le risque est dit ''positif'' chez les femmes » et négatif chez les hommes, relève la démographe.
Les hommes doivent être moteurs de changement
Que faire pour faire avancer le sujet ? « Les femmes se sont battues pour le développement de la contraception, les hommes doivent aussi le faire », lance l’experte. Les pouvoirs publics doivent également prendre leur part dans ce combat : « L’engagement est nécessaire à la fois des organismes publics et de la société civile. En France, d’importantes recherches sur la contraception masculine se sont développées avec des moyens limités », explique le docteur Jean-Claude Soufir dans son étude.
« Les firmes pourraient se saisir du sujet, dans une démarche d’égalité des genres, mais cela ne paraît pas à l’ordre du jour », ajoute Mireille Le Guen. Alors, malgré l’intérêt grandissant des hommes, constatables par la hausse du nombre d’initiatives citoyennes, de livres et d’articles, la question de la contraception masculine ne sera pas résolue demain.