« On peut être double greffé, dialysé et participer à une compétition sportive », confie Jordan Prüfer
Interview Ce dimanche s’ouvrent les 10es Jeux nationaux d’hiver des transplantés et dialysés, auxquels participe pour la première fois Jordan Prüfer, double greffé et dialysé.
- Organisés par l’association Trans-Forme, les Jeux nationaux d’hiver des transplantés et dialysés ont pour objectif de sensibiliser le grand public au don d’organes.
- Parmi les participants, Jordan Prüfer, 64 ans, greffé du cœur et d’un rein, dialysé, mais fin prêt pour sa première participation à cette compétition.
Slalom, super-G, ski de fond ou biathlon. La semaine s’annonce sportive dans la petite station de Sainte-Foy-Tarentaise, en Savoie, où se déroulent à compter de ce dimanche les 10es Jeux nationaux d’hiver des transplantés et dialysés, organisés par l’association Trans-Forme. Cinq jours durant, près de 60 participants, des sportifs greffés ou dialysés de tous âges ainsi que leurs accompagnateurs, vont dévaler les pistes pour promouvoir la réussite de la transplantation, durement impactée par la pandémie de Covid-19. Des greffes qui leur offrent une nouvelle vie et leur permettent de faire du sport.
Parmi les athlètes de la semaine : Jordan Prüfer. Greffé du cœur et d’un rein, et aujourd’hui sous dialyse, il s’apprête, à 64 ans, à participer à ses tout premiers jeux. Et raconte à 20 Minutes son parcours et son quotidien rythmé par les séances de dialyse.
Pourquoi avez-vous choisi de participer à cette compétition ?
De manière collective, c’est une belle occasion de mettre en lumière l’importance du don, d’organes et de sang, dont nous, personnes greffées, dialysées ou en attente de greffe, dépendons tant. A ce jour, plus de 27.000 personnes sont sur liste d’attente en France. On ne dira jamais assez combien il est important de donner : cela sauve des vies.
Et cela a sauvé la mienne. Quand j’étais jeune, j’ai fait du ski en compétition jusqu’à 20 ans, âge auquel j’ai fait un arrêt cardiaque, dû à une cardiomyopathie non détectée. On m’a posé un pacemaker dont j’étais totalement dépendant, et j’ai évidemment dû arrêter la compétition. J’ai pu garder un pied dans cet univers en enseignant le ski quelques années, j’ai pratiqué d’autres sports et fait des compétitions de trial moto. Mais en 2012, mon cœur était trop faible, et faute de donneur, j’ai d’abord reçu un cœur artificiel, avant, un an plus tard, d’être greffé du cœur et d’un rein. Une double greffe parce que les médecins jugeaient mes reins trop faibles pour supporter le traitement antirejet. Donc je ne serais pas là sans greffe. Et comme le ski est mon sport de prédilection, j’étais trop heureux de saisir cette occasion de participer à cette compétition et de véhiculer le message que nous portons. Et aussi de prouver qu’il est possible de mener une vie la plus normale possible même quand on est greffé et dialysé.
Mais le parcours a été long avant de retrouver une vie à peu près normale. Comment s’est déroulée votre convalescence après votre double transplantation ?
Il faut d’abord que le corps encaisse le choc ! Après la pose de mon cœur artificiel, je suis passé de 75 à 50 kg : j’ai perdu du muscle, passé beaucoup de temps alité, et j’ai dû réapprendre à marcher. Et quand j’ai commencé à sortir la tête de l’eau, je me suis mis en condition pour la greffe définitive, en faisant énormément de vélo, pour se préparer physiquement et mentalement à la double greffe. Et après la transplantation, je suis resté hospitalisé presque deux ans. Il a fallu aussi se remettre dans la tête, ne pas s’enfermer dans la nostalgie de ce qu’on a été dans sa vie d’avant la greffe et se « rephaser » avec la vie de tous les jours.
Et en pratique, on signe aussi pour un traitement antirejet à vie. Ce sont des immunosuppresseurs, pour éviter que l’organisme ne considère le greffon comme un corps étranger. C’est très fatigant au début, il faut s’habituer à prendre des médicaments tous les jours, et accepter ce qui vous arrive. Tant qu’on n’accepte pas, on n’avance pas.
Et pour avancer, comment votre mental de sportif vous a-t-il aidé ?
Ça a été déterminant, non pas pour retrouver exactement mes capacités physiques d’avant la greffe, mais pour retrouver l’état d’esprit et la force de conviction pour aller de l’avant et garder ma motivation. Quand on fait de la compétition, on a un objectif outre le dépassement des autres : le dépassement de soi. Réveiller mon mental de sportif m’a permis de me dépasser, de pousser la machine, comme on le fait en entraînement et en compétition, c’est la même logique.
Depuis 2019, vous êtes sous dialyse trois fois par semaine. A quoi ressemble le quotidien d’un dialysé ?
Mon rein s’est dégradé après avoir contracté le cytomégalovirus, d’autant plus virulent que les défenses immunitaires sont basses. Donc on m’a mis sous dialyse, trois fois par semaine. Mon sang passe dans une machine, une sorte de rein artificiel qui le filtre avant de me le réinjecter. Evidemment, c’est une contrainte, mais depuis 2019, j’ai retrouvé une forme jamais égalée depuis la greffe. Sur le coup, ça fatigue un peu, mais le reste du temps je suis en pleine forme pour mes 64 ans.
Pour moi, la dialyse, c’est le bonheur ! Même si c’est lourd en termes d’emploi du temps, puisque chaque séance dure quatre heures, tous les lundis, mercredis et vendredis après-midi. Je me dis que ce n’est plus dur que d’aller toute la journée au boulot, moi qui ai pratiqué des semaines de 60 heures. Pendant la séance, j’ai toujours mon ordinateur, c’est un rituel : je regarde des films, des conférences scientifiques. J’écris aussi. J’ai mis le temps de mes séances à profit pour raconter mon histoire dans un livre, un témoignage que je voulais transmettre à ma famille. Et aujourd’hui, après avoir failli tout perdre, je ressens l’envie de le transmettre au plus grand nombre.
Et le reste du temps, au quotidien, je suis au moins aussi actif que les autres hommes de mon âge. Je fais du bricolage, j’entretiens mon jardin, je nage. J’ai toujours été très actif, je me suis amusé toute ma vie, et aujourd’hui je suis un retraité dialysé et greffé mais heureux, et avec un moral d’acier !
Prêt pour vos premiers jeux d’hiver ?
Je participe à plusieurs épreuves de ces jeux : slalom géant lundi, slalom spécial mardi, super-G mercredi, épreuve de record et slalom parallèle le jeudi. La semaine s’annonce très sportive ! J’y vais décontracté : le but c’est de faire passer le message de l’association Trans-Forme et de se faire plaisir, en essayant de se dépasser un peu au passage.
On peut se relever de ça si le mental et la volonté sont là. Et quelle fierté : on peut être double greffé, dialysé et participer à une compétition sportive !