Mois sans tabac : « La puff fabrique la prochaine génération de fumeurs », s’inquiète l’Alliance contre le tabac
ADDICTION A l’occasion du Mois sans tabac, 20 Minutes se penche sur la puff, cette cigarette électronique jetable plébiscitée par les adolescents
- En bonne place chez les buralistes, les puffs, ces cigarettes électroniques jetables, sont en train de conquérir un jeune public, attiré par des packagings colorés et des parfums sucrés.
- Autorités sanitaires, médecins et experts en santé publique s’inquiètent face à un produit qu’ils jugent être une porte d’entrée des adolescents dans le tabagisme.
- A l’occasion du Mois sans tabac, « 20 Minutes » se penche sur le phénomène « puff ».
Elle s’est fait une place de choix dans les rayonnages des buralistes et des boutiques de vape. Et a vite trouvé son public. La puff, cette cigarette électronique jetable, est particulièrement prisée des adolescents, bien que sa vente aux mineurs soit interdites. Commercialisée entre 8 et 12 euros pour le modèle de 500 bouffées - ou puff en anglais (d’où son nom) - cette e-cigarette pouvant contenir jusqu’à 20 mg de nicotine a notamment été popularisée sur les réseaux sociaux.
Une manne pour les buralistes et industriels, qui voient les ventes décoller. Ce qui suscite de plus en plus d’inquiétude. « Elle est une porte d’entrée des adolescents vers le tabagisme », alerte le Pr Loïc Josseran, professeur en Santé publique à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur de l’Alliance contre le tabac (ACT). A l’occasion du Mois sans tabac, 20 Minutes s’est penché sur ce phénomène.
Un produit « conçu pour conquérir les adolescents »
Litchi glacé, milk-shake, marshmallow, bonbon licorne, ice-cream coco ou encore bubble gum et choco noisette : la liste des parfums proposés par les industriels de la puff ont comme un goût régressif de stand de glaces. « On est face à un produit conçu pour conquérir les très jeunes adolescents, dès 11 ans, avec ces arômes attractifs et récréatifs, des packagings colorés. Comme s’il s’agissait de produits inoffensifs et non des dernières trouvailles de l’industrie du tabac pour développer des marchés lucratifs », alerte le Pr Josseran.
Avec un prix du paquet de cigarettes en hausse constante et des ventes de tabac en recul en France en 2021, avec la puff, le secteur entend booster ses ventes. « En séduisant les mineurs, bien qu’il soit illégal de leur en vendre, insiste le Pr Josseran. Quand je vois que British American Tobacco (BAT) sort elle aussi une puff, c’est pour profiter de ce marché qui permet de fidéliser les jeunes consommateurs pour les décennies à venir. Non seulement les industriels le savent, mais c’est précisément ce qu’ils cherchent ».
D’ailleurs, la firme EliquidAndCo, qui vend une large gamme de puffs, ne se cache pas de faire découvrir à des jeunes « le goût et le geste de la cigarette ». Son argument commercial : « Vous aurez vraiment l’impression de fumer comme avec une cigarette de tabac », a relevé l’association 60 millions de consommateurs.
« J’adore les goûts sucrés »
Mais « les vrais fumeurs comme moi, et ceux qui vapotent pour se sevrer, n’aiment pas ça, confie un buraliste parisien. J’ai testé et trouvé ça vraiment mauvais. C’est un produit qui plaît aux fumeurs occasionnels, qui aiment le côté bonbon ». Et ces produits qui flattent le palais des jeunes ont effectivement trouvé leur public. Dont Lorelei, 16 ans et demi : « J’adore les goûts exotiques sucrés, genre fraise kiwi et mangue glacée. C’est un peu comme une petite chicha qui tient dans la poche », poursuit l’adolescente, qui « ne fume pas de cigarette ». Idem pour Romain, 17 ans : « je ne fume pas, mais j’ai déjà testé la puff, pour voir ».
Daniel, lui, est tombé des nues quand il en a vu une tomber du sac à dos de son fils de 15 ans. « On parle des choses assez librement, d’autant que sa sœur aînée fume, et moi aussi. Lui non, donc je n’ai pas compris pourquoi il avait acheté ça. Il m’a dit que c’était "juste pour tester un parfum fun et faire comme les potes", comme si c’était anodin. Ça me met en colère parce que je sais à quel point c’est dur de sortir du tabagisme : j’ai repris la clope après dix ans d’arrêt. Or visiblement, la puff, mon fils mineur et ses copains n’ont pas eu de mal à s’en procurer », déplore le père de famille. « Je n’ai jamais eu aucun souci pour en acheter, on ne m’a jamais demandé mon âge », confirme Lorelei.
Un laxisme pour lequel les quelque 23.500 buralistes du territoire sont souvent épinglés. Fin 2021, le Comité national contre le tabagisme (CNCT) affirmait, après une enquête « clients mystères » avec des jeunes de 17 ans, que six bureaux de tabac sur dix enfreignaient l’interdiction de vente de tabac aux mineurs.
Pub massive sur les réseaux à destination des jeunes
Et s’il est facile pour les ados d’acheter des puffs, la tentation est attisée sur les réseaux sociaux. Selon une enquête menée par le Bureau of Investigative Journalism, « BAT a investi 1 milliard de livres sur cinq ans pour faire la promotion de ses nouveaux produits, souligne le Pr Josseran. Notamment via des influenceurs installés à Dubaï qui en font la pub contre rémunération ». « Depuis plus d’un an, le phénomène "puff" inquiète à juste titre car certains produits, leur marketing et leur commercialisation ne respectent pas la réglementation en vigueur », admet France Vapotage, la fédération du secteur.
Et si la Confédération des buralistes, qui réunissait ses adhérents pour son congrès annuel fin octobre, se réjouit du « dynamisme des ventes de ce nouveau produit », selon son président Philippe Coy, elle déplore « le marketing fait autour, avec un ciblage bien déterminé sur une population jeune. Cela nous met dans une situation très délicate : des influenceurs ont communiqué sur TikTok, cela a créé une demande que l’on doit refuser, ce qui est assez compliqué pour nous au quotidien », a ajouté son président.
« Risque d’épidémie pédiatrique et cata écologique »
Et les jeunes « puffeurs » d’aujourd’hui « seront les fumeurs de demain, redit le Pr Loïc Josseran. On est face à un risque d’épidémie pédiatrique. Même avec une puff sans nicotine, il y a un rituel qui s’installe : on va l’acheter, on la prend en main, on tire dessus comme sur une cigarette. Or, tous les fumeurs reçus en consultation le disent : le geste, c’est déjà l’addiction ».
Un autre détail retient l’attention du directeur de l’ACT. « La puff est à usage unique, et ce n’est pas innocent : pas besoin de la brancher pour la recharger, pas de risque de laisser traîner dans sa chambre des petits flacons de liquide. Dans une trousse de stylos, elle passe inaperçue, et quand on l’a finie, on la jette. Tout a été savamment pensé pour séduire ce public dans le dos des parents ! »
« La meilleure chose, c’est de les voir disparaître »
Alors, comment éviter que la puff ne soit une voie d’entrée des jeunes dans le tabagisme ? Pour l’ACT et le CNCT, la réponse est simple : « il faut en interdire la commercialisation. Nous avons mené une enquête qui démontre que 13 % des adolescents âgés de 13 à 16 ans en ont déjà consommé, indique le Pr Josseran. Et près d’un sur dix en a déjà acheté, malgré l’interdiction de vente aux mineurs en vigueur ».
Si les puffs poursuivent leur percée, « non seulement l’objectif du gouvernement de voir la première génération sans tabac s’éloigne, mais on risque aussi de voir émerger une génération de fumeurs dont l’addiction sera née de ces e-cigarettes. Parce qu’il ne faut pas imaginer qu’un gamin qui tire sur une puff à la fraise à 13 ans en restera là ».