Covid-19 : « Ceux qui toussent sans masque me rendent dingue »… Covidés, ils vont quand même bosser
témoignages Alors que la huitième vague de Covid-19 prend de l’ampleur, le masque n’est quasiment plus porté en entreprise, où certains collègues viennent travailler malgré des symptômes Covid-compatibles
- Depuis la levée du protocole sanitaire en entreprise en mars dernier, le masque n’est plus obligatoire au travail.
- Et sur fond de huitième vague épidémique de Covid-19, alors que certains vont travailler avec des symptômes du virus et sans porter de masque, d’autres regrettent ce manque de précaution.
- A l’occasion ce vendredi de la Journée nationale de la qualité de l’air, les lecteurs et lectrices de 20 Minutes racontent comment ils abordent le port du masque et le risque Covid sur leur lieu de travail.
Ça tousse. Ça éternue. Ça se mouche. Là, en plein open space, des collègues aux symptômes Covid-compatibles sèment leurs miasmes sans songer une seconde à porter un masque. Pendant ce temps, sur fond de huitième vague de coronavirus, les chiffres de l’épidémie s’emballent. Mercredi, 67.948 cas ont été recensés, rapporte Santé publique France. La veille, le chiffre grimpait à 94.753. Et le taux d’incidence explose, avec 576 cas pour 100.000 habitants, en hausse de plus de 22 % en une semaine.
Depuis la levée du protocole sanitaire en entreprise le 14 mars, le port du masque n’y est plus obligatoire, il est simplement recommandé. Et en pratique largement boudé. Pour une majorité de travailleurs et travailleuses, il y en a marre de vivre avec des restrictions. Au grand dam d’une petite minorité qui aimerait bien ne pas contracter le Covid-19 de leur voisin de bureau. A l’occasion ce vendredi de la Journée nationale de la qualité de l’air, les lecteurs et lectrices de 20 Minutes qui ont répondu à notre appel nous racontent comment ils abordent le port du masque et le risque Covid sur leur lieu de travail.
« Macron voulait qu’on vive avec le Covid-19 ! »
« Le Covid-19 ne fait plus peur du tout, estime Eric. Le président Macron voulait qu’on apprenne à vivre avec, pour une fois qu’on l’écoute. Alors, oui, j’ai des symptômes "grippaux" depuis presque une semaine. Mais je ne fais ni test, ni consultation, ni rien du tout ! Un peu de miel et de paracétamol, et je vais bosser. Et je suis sûr de n’avoir contaminé personne ».
Idem pour Florence, « malade depuis dix jours, avec mal de gorge, extinction de voix, nez pris, mal de tête. Mais je ne me ferai pas tester et tant que mes jambes me porteront, j’irai bosser ! Là, j’apprends que je suis cas contact après d’un repas de famille, eh bien je ne prendrai aucune mesure particulière, voilà ! »
Il faut dire qu’après bientôt trois ans de pandémie, pour beaucoup, le virus a généré trop de contraintes. « Collectivement, le fait de ne plus porter le masque est vécu comme une libération, voire une victoire, explique Alain d’Iribarne, sociologue et économiste du travail, et directeur de recherche au CNRS. Dans le même temps, les salariés manifestent le besoin de retrouver leur lieu de travail, de renouer le contact avec leurs collègues et leur management, en tant qu’élément de bien-être. Mais toute obligation ou injonction – ici de porter le masque – est très mal perçue. On en revient au débat quasi philosophique sur l’égoïsme et l’altruisme. Porter le masque en contrepartie du bien-être de retrouver son lieu de travail est, pour beaucoup, vécu comme une contrainte insupportable. C’est la notion très française de "tel est mon bon plaisir" ».
« On ne peut pas vivre tout le temps avec un masque »
Ainsi, dans son open space où travaillent une centaine de personnes, Jean-Philippe est l’un des seuls à porter le masque. « Parce que mon fils de 20 ans a un cancer, il est en chimiothérapie depuis quatre mois, donc très vulnérable d’un point de vue immunitaire. Mon employeur est compréhensif et me laisse télétravailler. Le port du masque est préconisé par la direction, mais à part moi, seuls un ou deux cadres supérieurs le portent, pour montrer l’exemple ». Pour autant, le père de famille comprend ses collègues. « Si mon fils n’était pas malade, je ne porterais pas de masque, c’est très inconfortable, et on ne peut pas vivre tout le temps avec ».
Pour le sociologue, Jean-Philippe « pourrait être un acteur de pédagogie sur la question de l’utilité du masque : "est-il utile parce qu’il me protège des autres ou parce qu’en le mettant, je protège les autres ?" Le travail en présentiel doit être appréhendé comme un package : revenir au bureau, notamment pour des raisons de convivialité, implique qu’en contrepartie, si la situation sanitaire le requiert, il faille accepter de porter le masque pour se protéger réciproquement ».
Ce n’est pas Yohan qui dira le contraire : « juste avec un masque, on évite de refiler son angine, son rhume et son Covid, ce n’est pas compliqué ! Je n’ai aucune envie d’attraper les virus des autres. On sait comment protéger les autres, alors autant le faire ! »
« Je ne comprends pas les gens qui banalisent le Covid »
Après avoir été contaminée en juillet, Christelle a développé un Covid long et n’a « qu’une peur : contracter à nouveau ce sale virus. Depuis, je porte le masque mais au bureau, je suis la seule. Mes cinq collègues ne le portent pas même s’ils sont enrhumés, toussent et éternuent. Cela me gêne beaucoup mais je ne dis rien, puisque ce n’est plus obligatoire. Je ne comprends pas les gens qui banalisent le Covid-19, c’est de l’inconscience pure ! »
Un sentiment partagé par Léa. « Une collègue est venue sciemment au travail avec des symptômes, n’a rien dit, n’a pas mis de masque, et on est plusieurs à avoir été contaminés, raconte la jeune femme. Depuis, je porte le masque, mais je suis seule. Et tout le monde se fout de moi en disant : "tu nous fais peur avec ton masque, on va croire que tu as le Covid". Ça me rend dingue ! »
Pour Alain d’Iribarne, « c’est la problématique des open spaces. Si tout le monde est d’accord pour porter – ou non – le masque, il n’y a pas de problème. Mais si les avis sont partagés, les désaccords exprimés peuvent créer des tensions. C’est au manager direct, éventuellement avec le soutien des ressources humaines et de la direction, de gérer le problème ».
« Je ne reçois aucune indemnité si je dois fermer boutique, donc je bosse »
Sans avoir d’avis tranché sur la question, il y en a pour qui arrêt maladie pour cause de coronavirus rime avec assèchement de la trésorerie. A l’instar de Zazou : « j’ai le Covid, mais j’ai surtout une entreprise à faire tourner. Je ne peux pas m’absenter : étant indépendante, je ne reçois aucune indemnité si je dois fermer boutique ».
Grégoire, lui, est facteur. « En cas d’arrêt maladie, on me retire 20 % de ma prime trimestrielle par jour d’arrêt, même en cas de Covid-19, explique-t-il. Donc si je m’arrête une semaine, je perds 160 euros. Et vu mon salaire médiocre, je ne peux pas me le permettre ».
« Un raisonnement rationnel, commente Alain d’Iribarne. L’employeur ne peut pas reporter sur son salarié la responsabilité d’être un bon citoyen. C’est un problème moral et une situation intenable pour le salarié : il y a une sorte d’injonction morale à ne pas risquer de contaminer les autres, mais au prix d’un sacrifice financier difficile. Ce n’est pas un bon calcul de l’employeur : non seulement c’est au risque de créer un cluster sur le lieu de travail, mais plus profondément, c’est au risque que le salarié se sente déconsidéré, et vive cette situation comme une forme de mépris. Alors qu’aujourd’hui, un point important de l’engagement des salariés au travail est de se sentir respecté et considéré par sa hiérarchie ».