Psychiatrie : « "Vol au-dessus d’un nid de coucou" a longtemps été la seule référence », regrette le psychiatre Jean-Victor Blanc
MA TÊTE ET MOI La pop culture a longtemps alimenté les clichés sur la maladie mentale, mais une évolution est en train de se produire selon Jean-Victor Blanc, psychiatre et auteur du livre « Pop & Psy »
- « Ma tête et moi », c’est le programme hebdomadaire de 20 Minutes consacré à la santé mentale des jeunes, diffusé sur Snapchat.
- Le but de ce rendez-vous : lever le tabou sur des troubles psy grâce aux témoignages de jeunes concernés et tenter de trouver des solutions pour aller mieux.
- Dans ce huitième et dernier épisode de la saison 2, on parle de la vision de la santé mentale dans la pop culture avec Jean-Victor Blanc, psychiatre et auteur du livre Pop & psy.
Bipolarité, schizophrénie, trouble borderline : ces mots peuvent faire peur. En cause notamment, certaines œuvres cinématographiques et séries qui alimentent les clichés sur les maladies psychiatriques. Pour différencier le vrai du faux et déstigmatiser la santé mentale, le psychiatre Jean-Victor Blanc a écrit le livre Pop & psy. Il y donne des exemples de justes représentations de pathologies mentales dans la pop culture, le tout agrémenté d’études, de chiffres et d’expérience professionnelle auprès de ses patients et patientes. Pour conclure la saison 2 de notre programme « Ma tête et moi » sur la santé mentale des jeunes, on a rencontré ce jeune psychiatrique engagé.
Dans votre livre, vous expliquez que des films comme Vol au-dessus d’un nid de coucou ont eu un impact indéniable sur notre vision de la psychiatrie. Quel impact ce type de films a-t-il sur les personnes qui souffrent de troubles mentaux mais aussi sur les professionnels de la santé mentale ?
Ils ont un impact majeur et globalement très négatif. Mon livre Pop & Psy a commencé comme ça : une jeune patiente, qui avait moins de 20 ans, est venue pour une crise suicidaire aux urgences. Je lui propose une hospitalisation dans notre service à l’hôpital Saint-Antoine. C’est un hôpital général, c’est-à-dire qu’il y a un service de psychiatrie mais à l’étage au-dessus, c’est de la cardio, en dessous de l’hématologie. Donc on est vraiment loin d’ un hôpital psychiatrique. Je lui propose une hospitalisation dans le service et elle me dit « non, je ne veux pas me retrouver dans le film avec Jack Nicholson ». Je me suis dit « c’est fou que quelqu’un de moins de 20 ans cite ce film-là. »
Ce film, c’est vraiment un traumatisme pour les malades et il continue d’alimenter les clichés. Bien évidemment, l’idée n’est pas de dire qu’il faut le censurer ou le canceller. C’est un beau film, qui a plusieurs sens. Ce que je regrette par contre, en tant que jeune psychiatre, c’est qu’il a longtemps été la seule référence quand on parlait de santé mentale.
Justement, un changement est-il en train de s’opérer au sein du milieu cinématographique ?
Oui, massif. Depuis 2019, quand j’ai commencé le livre et les conférences sur ce sujet, un nombre incalculable de personnalités ont parlé de leur santé mentale. Mariah Carey a évoqué son trouble bipolaire. Selena Gomez en a parlé et a produit 13 reasons why. Il y a aussi eu des œuvres hyper fortes, comme Happiness Therapy, qui a été oscarisé ou encore le phénomène Euphoria, dont la saison 2 a fait un raz-de-marée. Tout le monde parle de cette série qui aborde la santé mentale et les addictions.
Ce que je trouve génial, c’est que tous les secteurs sont touchés aujourd’hui. C’est le cas de la mode avec Isabel Marant qui a dit : « Aujourd’hui, pour être un designer, il y a tellement de pression qu’il faut plutôt faire yoga et haricots verts plutôt qu’un sex, drugs and rock n'roll ». Des sportives ont aussi pris la parole comme Naomi Osaka ou Simone Biles. Il n’y a pas un secteur qui n’est pas touché, sensibilisé, aujourd’hui. Cela montre que c’est bien plus qu’une lame de fond. C’est quasiment un raz-de-marée.
Ces prises de parole publiques peuvent-elles permettre des prises de conscience de la part de la population ?
Bien sûr. Aux Etats-Unis, les deux moments où on a le plus parlé de trouble bipolaire au cours des dix dernières années, c’est le moment où Mariah Carey a annoncé son diagnostic et où Kanye West s’est lancé dans la présidentielle. Ce qui montre qu’il y a aussi un côté ambivalent. Parce que dans un cas, elle le faisait à un moment où elle dit : « Je peux témoigner, parce que je vais bien grâce à mon traitement et mon hospitalisation ». Dans l’autre cas, on a quelque chose de moins maîtrisé et beaucoup plus complexe. Mais c’est sûr que des prises de parole donnent vraiment une visibilité au sujet. Beaucoup plus qu’une découverte médicale ou qu’un fait scientifique.
Parlons de faits scientifiques justement. Dans votre livre, vous expliquez que de nombreux films regorgent de personnages ayant des symptômes de différentes pathologies mais qui n’en reflètent aucune réellement. Quel impact ces choix ont-ils sur la connaissance des pathologies mentales ?
On l’a beaucoup vu avec le film Joker. Certains symptômes du personnage principal peuvent ressembler à la schizophrénie mais ce n’était pas du tout un tableau représentatif. Cela a également été le cas avec la sortie du film Split. Il y a eu un pic de recherche sur Internet sur la schizophrénie au moment de sa sortie alors que ça n’a rien à voir avec cette pathologie-là.
Pendant longtemps, les œuvres étaient assez feignantes et peu documentées et donc ce qui devait être de la schizophrénie ou un trouble bipolaire ne ressemblait finalement pas à grand-chose. Aujourd’hui, je trouve qu’un effort est fait dans les œuvres. Elles sont plus documentées, plus réalistes et, souvent, ce que je trouve fascinant, c’est qu’elles sont portées par des personnes concernées directement ou indirectement. Je pense notamment à Euphoria ou au réalisateur des Intranquilles dont le père souffre d'un trouble bipolaire ou à Lily Collins qui a joué dans To the bone et qui a confié s’être battue contre l’anorexie pendant des années.
Plusieurs études montrent que la jeune génération s’intéresse davantage aux questions de santé mentale. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense qu’il y a plusieurs facteurs. D’abord, ça s’auto-entretient. Le fait qu’une série ultra-populaire comme Euphoria en parle nous fait parler du sujet. Les réseaux sociaux ont aussi vraiment libéré la parole sur le sujet. Avant, un jeune atteint d’un trouble bipolaire se retrouvait vraiment isolé face à ses symptômes, à moins de faire des kilomètres pour trouver une association dans laquelle il n’y avait pas forcément de personnes de son âge. Aujourd’hui, les internautes peuvent en parler directement et créer des communautés autour de sujets qui avant étaient tabous.
Et puis le dernier élément, c’est que tout ça s’est pris dans un mouvement plus global de lutte contre les discriminations, que ce soit en raison du sexe, de l’ethnie ou de l’orientation sexuelle. Tout ce qu’on dit sur la déstigmatisation de la santé mentale, ce sont des choses qui ont déjà été travaillées par le mouvement MeToo. La jeune génération est particulièrement attentive à ces questions.
Constatez-vous auprès de vos patientes et patients que la santé mentale est moins taboue chez les jeunes ?
Si on regarde les choses de façon macro, entre trois générations, on voit que les grands-parents ne parlaient pas de ces sujets-là. Ils disaient « il est parti en maison de repos » alors qu’il s’agissait d’une hospitalisation en psychiatrie ou « on ne sait pas de quoi il est mort » alors qu’il s’agissait d’un suicide. Pour les parents, c’est un peu moins tabou et pour la dernière génération ça l’est encore moins.
Après, ça reste encore très stigmatisé. D’où l’envie avec Pop & Psy de changer les mentalités. Parfois on dit « c’est un sujet à la mode » mais je vous assure que les personnes qui ont un trouble bipolaire ne peuvent pas le crier sur tous les toits. Certes quand on est Maria Carey, Selena Gomez ou Kanye West c’est peut-être un peu plus facile mais la grande majorité des personnes, elles, cachent leur trouble au travail et à leur entourage.
Pour vous abonner à notre programme « Ma tête et moi » et revoir tous les épisodes, c’est par ici.
Si vous voulez connaître le programme des cinés-débats Culture pop and psy, c'est par là.