Troubles alimentaires : L’hyperphagie-boulimique ou manger jusqu’à s’en rendre malade
MA TÊTE ET MOI L’hyperphagie-boulimique est le trouble des conduites alimentaires le plus répandu, et pourtant, on n’en entend jamais parler
- « Ma tête et moi », c’est le programme hebdomadaire de 20 Minutes consacré à la santé mentale des jeunes, diffusé sur Snapchat.
- Le but de ce rendez-vous : lever le tabou sur des troubles psy grâce aux témoignages de jeunes concernés et tenter de trouver des solutions pour aller mieux.
- Dans ce septième épisode, on parle de l’hyperphagie-boulimique, un trouble des conduites alimentaires très répandu mais peu connu.
Alors que Léa est seule chez elle, après l’école, elle ouvre un paquet de glaces au chocolat. Elle en mange une, puis deux, puis trois, avant de finir le paquet. Puis elle en ouvre un deuxième et continue d’enchaîner les cônes les uns après les autres, mécaniquement, sans ressentir le moindre plaisir et jusqu’à en avoir mal au ventre. Léa vient de faire une énième crise d’hyperphagie. Contrairement aux personnes atteintes de boulimie, elle n’aura pas de comportement compensatoire après cette crise. Autrement dit, elle ne se fera pas vomir et ne prendra pas de laxatifs. La jeune femme restera avec cette douleur dans le ventre et cette culpabilité dans la tête.
Comme Léa, 3 à 5 % de la population souffre d’hyperphagie-boulimique, selon la Haute Autorité de santé, soit bien plus que l’anorexie ou la boulimie. Pourtant, ce trouble des conduites alimentaires est bien moins médiatisé. Connaître les symptômes de cette maladie permet de la déceler plus facilement et donc, de pouvoir la soigner. Grâce à l’éclairage de Dorine Pillault, diététicienne-nutritionniste spécialisée dans la prise en charge de l’obésité, de Jean-Philippe Zermati, médecin nutritionniste, et aux témoignages de malades, on vous explique en quoi consiste l’hyperphagie-boulimique et comment la différencier d’excès alimentaires occasionnels non-pathologiques.
Manger sans faim… jusqu’à avoir mal
« L’hyperphagie-boulimique consiste à manger plus que ce que mangerait une personne dans le même contexte et à le faire dans un temps restreint, en cachette, sans ressentir la sensation de faim physiologique et jusqu’à ce qu’il y ait un inconfort physique, le ventre qui fait mal », explique Dorine Pillault. Le DSM-5 retient ces cinq critères pour définir l’hyperphagie-boulimique. Il en faut au moins trois pour être diagnostiqué et la personne doit faire au moins une crise par semaine pendant au moins trois mois. « La personne qui fait une crise ne peut pas du tout maîtriser ce qui lui arrive. C’est plus fort qu’elle », ajoute la spécialiste.
Ludovic, qui souffre d’hyperphagie depuis plus de cinq ans, connaît bien ces crises. « Parfois, je vais au McDo et j’achète trois menus, comme si on était plusieurs alors que je suis tout seul. Et je mange tout en mode robot, jusqu’à en être vraiment écœuré. » Les personnes hyperphagiques peuvent même manger des aliments non décongelés, des conserves pas cuisinées, voire des restes de nourriture dans la poubelle. Et après la crise, vient la culpabilité. « Le fait de ressentir du dégoût de soi-même et de la honte fait aussi partie des caractéristiques de la maladie », ajoute Dorine Pillault. Cette culpabilité ne disparaît pas au bout de quelques minutes. Elle est presque obsessionnelle.
Des restrictions trop fortes créant de la frustration
Avant toute chose, il faut bien distinguer deux types d’hyperphagie, selon Jean-Philippe Zermati. La première est liée à la frustration engendrée par des régimes à répétition. « Quand on est fatigué ou stressé, on peut avoir envie de manger quelques carrés de chocolat pour décompresser. En les mangeant, on éprouve du plaisir et une fois qu’on les a finis, on sent que ça nous a fait du bien et on passe à autre chose. » La consommation de l’aliment réconfortant va contribuer à une régulation de l’humeur. « Dans la compulsion, on ressent la même envie mais une voix nous dit que ce n’est pas une bonne idée de manger cet aliment. Du coup on se retient, puis on finit par céder et on n’arrive pas forcément à s’arrêter. » C’est la moitié de la tablette, voire plus. Et cela peut se transformer en crise d’hyperphagie-boulimique.
« Ce type d’hyperphagie est appelé hyperphagie du réconfort sévère », explique le médecin. Elle concerne les personnes qui essaient de perdre du poids et se privent continuellement de manger des aliments plaisir. C’est le cas de Ludovic, au régime depuis le collège sur conseil de son médecin de famille. Depuis, le poids du trentenaire oscille continuellement entre surpoids et obésité. « Les aliments que je mange dans ces moments-là sont quasiment toujours des aliments que je m’interdisais quand j’étais au régime. Pendant une période, je ne mangeais que des bonbons lors de mes crises alors que je n’aime pas ça. »
Une anesthésie émotionnelle
Pour Jean-Philippe Zermati, cela s’explique physiologiquement. Quand on a envie d’un aliment, le cerveau sécrète de la dopamine qui déclenche l’envie de calmer le besoin. « Mais si on lutte contre l’envie, la dopamine augmente encore et encore car le besoin n’est pas satisfait. Au bout d’un moment, la dopamine prend le dessus et c’est là que peut survenir la crise d’hyperphagie. Plus le contrôle est sévère, plus les pertes de contrôle sont importantes et donc les crises seront grandes », résume le médecin.
Ce type d’hyperphagie est à différencier de celle liée à l’anesthésie émotionnelle. « Les crises répondent à des émotions d’une extrême violence. On mange pour anesthésier la douleur psychique. » C’est ce que raconte Daria Marx, dans son documentaire, en confiant que si elle n’avait pas fait de crises d’hyperphagie, elle serait morte. Dans ce cas, la nourriture est utilisée de la même façon que de la drogue ou des mutilations. « La douleur physique peut estomper la douleur psychique. Il y a vraiment une volonté d’éteindre leur cerveau », explique le médecin.
Un surpoids entraînant un cercle vicieux
Les personnes souffrant d’hyperphagie sont en grande majorité en surpoids ou en obésité car elles mangent plus que leurs besoins physiologiques. Cette prise de poids accentue la souffrance du malade et ce mal-être peut donner lieu à une nouvelle crise. Dorine Pillault analyse ce cercle vicieux comme un schéma de pensées négatives. « Un événement déclencheur va provoquer des pensées négatives qui vont mener à une crise. Cette crise va donner des pensées négatives qui vont à leur tour déclencher une crise. » Le docteur l’explique physiologiquement : « Plus la personne s’accable d’avoir commencé la crise, plus elle sécrète de cortisol, l’hormone du stress et plus la crise va devenir violente. »
« Dans l’imaginaire collectif, quelqu’un qui mange trop manque de volonté. On ne cherche pas à comprendre ce qu’il y a de plus profond dans le mal-être des personnes », se désole la spécialiste. Un travail sur le comportement alimentaire ou un suivi psychothérapeutique, selon la forme d’hyperphagie, peut permettre de réduire le nombre de crises. Et, à terme, de les faire disparaître.