Journée de l’eczéma : « Les caresses n’en sont plus »… Comment cette maladie cutanée affecte la vie sexuelle

CA GRATTE A l’occasion de la Journée nationale de l’eczéma samedi, « 20 Minutes » se penche sur un sujet encore tabou : l’impact de cette maladie cutanée sur les relations amoureuses

Oihana Gabriel
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Illustration d'un couple au lit.
Illustration d'un couple au lit. — Canva
  • L’eczéma est une maladie de peau chronique qui toucherait environ 2,5 millions de Français. Ce samedi, à l’occasion de la Journée nationale dédiée, des ateliers en présentiel et en ligne vont sensibiliser à cette maladie stigmatisante.
  • Elle se manifeste par des poussées de plaques rouges, qui démangent même la nuit et peuvent toucher les organes génitaux.
  • D’où un impact non négligeable sur la vie sexuelle. Voilà pourquoi l’Association française de l’eczéma a mené une enquête pour que ce tabou soit levé et que les patients n’hésitent plus à en parler avec leurs soignants.

Pauline Lopez, 35 ans, a hésité à témoigner sous son vrai nom. Mais elle a finalement osé nous raconter sa vie de couple, avec et malgré son eczéma. Une pathologie chronique de la peau qui se manifeste par des poussées de plaques rouges qui démangent, peuvent suinter, brûler et se surinfecter.

A l’occasion samedi de la 8e Journée nationale de l'eczéma*, qui propose ateliers, rencontres, jeux de piste en ligne et dans sept villes de France, Pauline a accepté de parler d’un sujet intime. « Je me suis dit que c’était important de parler de la vie amoureuse, que les gens puissent s’identifier. Il ne faut pas avoir honte de cette maladie », insiste la trentenaire qui vit près de Perpignan, les larmes dans la voix.

« Avec les paupières gonflées, je ressemble à Quasimodo ! »

Cette maladie, nommée par les connaisseurs dermatite atopique, s’est invitée dans la vie de Pauline à la fin de l’adolescence. Avec une première crise de 17 à 19 ans, pas évident de séduire ou même se faire accepter par ses amis… « Comme j’avais beaucoup d’eczéma autour des yeux, je m’entendais dire au lycée " Tu es défoncée ? Tu te drogues de bon matin ?" Beaucoup de mes amis avaient peur de me toucher. » Désagréable quand ce sont vos amis. Et problématique quand c’est votre partenaire de vie. D’autant que cette maladie cutanée n’est pas contagieuse, même si beaucoup l’ignorent encore.

Cela peut freiner les rencontres amoureuses. Avoir confiance en soi, séduire, se mettre à nu quand on souffre d’une poussée d’eczéma est donc un défi de taille. « J’ai des plaques nomades, reprend la trentenaire à l’accent chantant. Il y a des endroits qui se répètent : autour des yeux, ce qui physiquement est handicapant. Avec les paupières gonflées, je ressemble à Quasimodo ! » Ce qui n’a pas empêché Pauline de trouver l’amour. Depuis quinze ans, elle vit avec Christophe et a aujourd’hui deux enfants. A l’époque de leur rencontre, la maladie était en sommeil. Mais depuis plusieurs années, elle s’est rappelée au bon souvenir du couple. Qui a appris à composer avec. « Je me souviens lui avoir dit en pleurant " heureusement que je ne suis pas célibataire ! " »

La maladie impacte la vie sexuelle

Pour Pauline, la pathologie se met parfois en pause, notamment pendant sa première grossesse. Mais après l’accouchement, tous les mois d’août ressemblent à une descente aux enfers « entre la chaleur, la sueur, les vêtements qu’on ne supporte pas, le chlore de la piscine, le maillot humide, liste-t-elle. C’est atroce, j’ai un maillot d’eczéma ! Dommage, c’est les vacances, donc du temps pour nous… »

La maladie n’épargne pas les organes génitaux, contrecarrant la vie sexuelle. Selon une étude publiée en février 2022 * par l’Association française de l’Eczéma, un patient sur quatre reconnaît une baisse de libido à cause de cette maladie. Leurs conjoints sont 42 % à avouer qu’elle diminue leur propre désir. « Sans surprise, le patient dont la peau est irritée, inflammée, a peur d’avoir mal », résume Ziad Reguiai, dermatologue à la polyclinique Courlancy à Reims. Et le ou la partenaire que la partie de jambes en l’air ne se transforme en grimaces…

« Dès qu’il me touche, je gratte »

Quand Pauline et Christophe se sont lancés dans le projet d’avoir un deuxième enfant, elle a dû arrêter le traitement qui la soulageait. Des plaques sont alors apparues sur les seins, son pubis, à l’intérieur de ses cuisses. « On ne pouvait pas avoir de rapports à chaque fois qu’on l’aurait souhaité, avoue-t-elle. Ce sont des zones érogènes. A cause de l’eczéma, on ne mouille pas. Dès qu’il me touche, je gratte. J’ai déjà eu le soutien-gorge qui collait tellement ça suintait. J’aurais préféré en avoir plein les jambes. Mais on ne choisit pas… »

Autre problème, « On se demandait s’il s’agissait d’une mycose ou de l’eczéma ? » Avec une différence de taille : l’eczéma, on l’a dit, n’est pas contagieux, mais la mycose oui. « Une patiente suivie pour une dermatite atopique avait parlé à son médecin généraliste, une femme, de ses problèmes gynécologiques, illustre le dermatologue. Elle a été traitée pour une mycose. Ça n’a rien changé. A partir du moment où sa généraliste m’a envoyé un courrier, j’ai compris que c’était autre chose. Or, la mycose est extrêmement fréquente et les symptômes proches de l’eczéma. C’est pour ça qu’il faut en parler. »

« Ce n’est pas une dimension spontanément abordée par le patient »

Mais pour beaucoup, le sujet de la vie intime percutée par l’eczéma reste tabou. « Comme toujours dans les problèmes dermatologiques, la qualité de vie en pâtit. Mais ce n’est pas une dimension spontanément abordée par le patient, par pudeur, reconnaît Ziad Reguiai. Ils parlent plus facilement des démangeaisons qui pourrissent leur quotidien. D’ailleurs, 2 patients sur 3 se grattent au moins 12 heures par jour. » Eviter le sujet, c’est risquer de passer à côté d’une information essentielle. « La dermatite atopique nécessite une prise en charge globale et la vie sexuelle en fait partie, insiste le médecin. Les zones génitales sont cachées, si le patient ne l’évoque pas, le médecin va rarement en parler. Une part de l’impact est occultée et la sévérité amoindrie. » D’autant qu’il existe des traitements efficaces : crèmes, comprimés, injections…

Si pendant quelques mois, les piqûres de Dupixent ont beaucoup soulagé Pauline, elle va mieux aujourd’hui sans avoir besoin d’injections. Mais les compromis sont toujours d’actualité… « Je touche du bois !, se réjouit-elle. Ce qui est nouveau, c’est que j’en ai sur les mains. J’ai 35 ans et les mêmes mains que ma grand-mère de 87 ans ! »

Et au-delà de l’acte sexuel, recevoir de simples caresses se révèle également compliqué. « Le câlin devient guili quand je suis en crise. Les caresses n’en sont plus. Maintenant qu’il le sait, il appuie davantage, comme pour me faire un massage. On est obligé de trouver des alternatives. Ça fait quinze ans, donc c’est rodé ! »

* L’Association Française de l’Eczéma propose de s’inscrire sur associationeczema.fr.

** L’enquête AFI (Atopy Family Impact) a été réalisée par questionnaires en ligne de janvier à avril 2021, auprès de 2.530 patients de 18 ans et plus, atteints d’eczéma atopique, dont 1.266 patients se déclarant en couple et dont le conjoint a accepté de répondre au questionnaire.