Covid-19 : Pourquoi l’hôpital arrive-t-il « à un point de rupture », comme l'a signalé Rémi Salomon ?

CHECK-UP L’hôpital qui apparaît en très mauvaise santé actuellement

Jean-Loup Delmas
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L'hôpital est très mal en point en France, et on continue à tirer sur la corde
L'hôpital est très mal en point en France, et on continue à tirer sur la corde — JULIEN DE ROSA / AFP
  • Alarme générale dans le secteur de la santé en France : « l’hôpital arrive à un point de rupture », a récemment signalé Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement (CME) de l’AP-HP.
  • Les raisons de cette crainte ne manquent pas : coupes budgétaires massives, coronavirus, perte de sens, etc. 20 Minutes fait le point avec Mickaël Ehrminger, docteur et chercheur en Santé publique.
  • « Il n’y a pas de baguette magique, des solutions pourront prendre plusieurs années avant d’être mises en place », répond l’expert à la question de savoir quelles pistes permettraient de sauver l’hôpital.

L’heure du décès définitif n’est pas encore connue, mais le constat est là, bien amer : « l’hôpital arrive à un point de rupture, ça craque de partout », a récemment déclaré Rémi Salomon sur TF1. Et le président de la commission médicale d’établissement (CME) de l'AP-HP de rajouter quelques autres clous au cercueil : « Il y a une usure qui s’opère au fil des vagues sur un hôpital qui n’était déjà pas très en forme avant la pandémie. » Coronavirus et variants, épidémie de grippe ou malaise des soignants... 20 Minutes fait le point sur la déclaration de Rémi Salomon et ce pourquoi aujourd'hui l'hôpital a tant mal.

Où en est l’hôpital ?

Au 12 avril, 24.693 personnes sont hospitalisées en France en raison de l'épidémie de coronavirus. Parmi elles, 1.644 sont en soins critiques. Ces chiffres sont en hausse depuis quelques semaines, tandis que la baisse des cas semble s’être stoppée, faisant craindre un plateau à ce haut niveau d’hospitalisations. A cela s’ajoute, à cause du  variant Omicron, un nombre de cas positifs vraiment, vraiment haut. Plus de 130.000 cas sont détectés chaque jour actuellement, selon les derniers chiffres de Santé publique France. Résultat, de nombreux soignants sont positifs au virus et donc dans l’obligation de se mettre en arrêt de travail. 


« Aux urgences de l’hôpital d’Orléans par exemple, 90 % des soignants sont en arrêt maladie, faisant valoir leur souffrance au travail. Les urgences "relatives" n’y sont plus acceptées. Ces conséquences psychologiques d’épuisement à long terme sont aussi à prendre en compte, car elles seront sans doute la prochaine cause principale d’arrêt [maladie ou de carrière] chez les soignants, détaille Mickaël Ehrminger, docteur et chercheur en santé publique. Les hôpitaux ont des problèmes de ressources humaines et les plans blancs sont déclenchés de manière successive depuis deux ans, ajoutant à l’épuisement des soignants déjà fortement mobilisés. »

Le coronavirus, principal fautif ?

Réponse : non. Les mauvaises nouvelles arrivant souvent par escadron, la France connaît de fortes épidémies de grippe et de gastro-entérite. « Les cas sévères de ces pathologies que l’on pense bénignes nécessitent des soins importants et des hospitalisations d’urgence. La grippe ne semble pas encore avoir atteint son pic, qui est plus tardif qu’habituellement mais, niveau d’incidence, nous sommes déjà au plus haut que le pic de l’épidémie de 2019-2020 », précise le docteur.  Selon Santé publique France, le nombre d’hospitalisations en raison de la grippe était en hausse la semaine dernière par rapport à la précédente (1.089 en semaine 13 vs 929 en semaine 12, soit +17 %).

Et si la pandémie de Covid-19 a donné un sacré coup à l’hôpital, ce dernier ne respirait déjà pas la sérénité avant l’arrivée des tests PCR, des variants et des confinements. Les coupes budgétaires au bulldozer avaient affaibli le système. Deux coupables sont particulièrement désignés : la T2A pour « tarification à l’activité » et l'Ondam pour « objectif national de dépenses d’assurance-maladie ». Une note pour le think tank Terra Nova montre notamment que la croissance de la production de soins (+ 18,7 %) s’est accompagnée d’une augmentation bien moindre des effectifs (+ 3,4 %), entre 2009 et 2019. « Les hôpitaux publics, du fait d’une situation financière dégradée, ont dû réduire leurs investissements. Ils investissaient environ 11 % de leurs recettes en 2010-2011, contre seulement 5,2 % en 2018 », explique la note, qui conclut que les Odam « ont pesé sur les ressources des hôpitaux publics alors même que ceux-ci délivraient de plus en plus de soins ». « Les hôpitaux n’ont pu faire face à cette situation que grâce à une diminution absolue et relative de la rémunération de leurs personnels, par une intensification du travail et par une diminution de l’investissement », analyse Terra Nova.

La mise en place de la T2A « a été un élément charnière qui a fait basculer un service public dans une logique de rentabilité et de concurrence économique. Les conditions de travail sont ainsi dégradées, et l’hôpital est amené à compenser le manque de praticiens de ville. Or, ce n’est pas sa mission première, qui est d’offrir un plateau de soins techniques et spécialisés et des soins d’urgence pour assurer la continuité des soins », argumente Mickaël Ehrminger. Et de poursuivre : « Les métiers du soin ne font plus rêver. Plus que jamais, il s’agit d’un sacerdoce : les conditions de travail sont dégradées, rendant le travail dégradant par manque de temps et de ressources. Les soignants n’ont plus l’impression de faire leur travail correctement, d’autant que les rémunérations sont basses et la valorisation inexistante. »

Quelles pistes pour sauver l’hôpital ?

Une commission d’enquête sénatoriale s’est penchée sur cette vaste question. Dans son rapport, publié le 31 mars, elle recommande de « tourner rapidement la page du « tout T2A » », et de faire évoluer l’Ondam, qui devrait reposer « sur la base des besoins de santé », et non plus avec les normes de « maîtrise de la dépense publique comme finalité ». Le Ségur de la Santé y est également étrillé, jugé comme une réponse « trop tardive au regard de l’ancienneté de la crise de l’hôpital ».

Enfin pour lutter contre le sentiment de « perte de sens » des soignants, la commission propose un ratio de patients par soignant à ne pas dépasser, comme il en existe déjà dans certains services, notamment ceux de réanimation : « Des seuils critiques ajustés sur les activités des établissements devraient être définis et un mécanisme d’alerte mis en place lorsqu’ils sont atteints. »

« Il n’y a pas de baguette magique, des solutions pourront prendre plusieurs années avant d’être mises en place. Le mode de financement de l’hôpital devrait être totalement refondu afin de donner une bouffée d’oxygène aux services, et la coordination avec la médecine de ville devrait être améliorée », avance Mickaël Ehrminger. Selon le docteur, l’hôpital ne peut pas (ou plus) absorber des consultations de routine et « des centres de santé extérieurs pourraient parer à ce problème ». Et enfin, le chercheur en santé publique assure qu’une « une véritable politique de prévention gagnerait à être mise en place, car la France est l’un des pays avec une morbidité et une mortalité prématurées très importantes [tabagisme et consommation d’alcool élevé] nécessitant des soins lourds et au long cours qui pourraient être évités. »