Syndrome du bébé secoué : Protéger l’enfant mais ne pas punir des innocents, un diagnostic toujours en débat

ENFANCE A l’occasion de la Journée nationale du syndrome du bébé secoué, « 20 Minutes » se penche sur la polémique autour de la définition de ce diagnostic

Oihana Gabriel
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Illustration de pieds de bébé.
Illustration de pieds de bébé. — Pixabay
  • Le 17 janvier 2022, le gouvernement a lancé une campagne de sensibilisation sur le syndrome du bébé secoué.
  • Selon le gouvernement, environ 300 enfants seraient concernés chaque année en France.
  • Mais il y a débat sur la définition de ce syndrome. Et donc sur la marche à suivre pour à la fois protéger des enfants en péril et éviter d’envoyer en prison des parents innocents.

C’est un débat complexe où le drame n’est jamais loin. En France, la question du syndrome du bébé secoué fait couler beaucoup d’encre. Certains estiment que la marche à suivre en cas de suspicion, préconisée par la Haute Autorité de Santé,  risque d’envoyer des innocents en prison et de retirer des nouveau-nés à leurs parents qui n’ont rien fait. D’autres rétorquent que la priorité reste de protéger des bébés en danger de mort. A l’occasion de la Journée nationale du syndrome du bébé secoué, ce mardi 5 avril, 20 Minutes tente d’y voir plus clair.

Trois lésions permettent de mettre sur la piste du syndrome du bébé secoué

Le syndrome du bébé secoué touche environ 300 enfants de moins d’un an chaque année, et dont 75 % ont moins de six mois. Plus de 10 % décèdent, et les trois quarts des survivants gardent des séquelles à vie : déficience cognitive, troubles du comportement, de l’attention, de la vue, hémiplégie, épilepsie…

Comment repère-t-on un enfant victime ? Les recommandations de la HAS, publiées en 2011 et affinées en 2017, décrivent trois lésions caractéristiques : « un hématome sous-dural multifocal, très particulier, qu’on ne rencontre que dans certains accidents très violents ; une hémorragie rétinienne ; et la rupture des veines ponts », liste Anne Laurent-Vannier, neurologue et présidente du groupe de travail de la HAS. Pour elle, il ne peut y avoir confusion entre un choc suite à une chute ou à un jeu et ces lésions extrêmement rares et graves. La HAS s’est ainsi échinée à définir les critères les plus objectifs possibles. Surtout, avant de signaler les parents, l’équipe médicale doit chercher d’éventuelles causes médicales, puisque ces lésions peuvent aussi être liées à une méningite, une leucémie, une maladie de coagulation…

« 90 % de mes clients ont des casiers judiciaires vierges »

Mais un tout autre écho provient des familles concernées. Grégoire Etrillard, avocat spécialisé dans ces affaires de bébés secoués, regrette qu’on associe trop rapidement hématome sous-dural et syndrome du bébé secoué. « Soit le bébé décède, et il est quasi certain qu’un des parents ira en prison, résume-t-il. Soit il s’en sort, et il est souvent placé pour une période d’un an ou plus dans 90 % des cas. Cela fait dix ans que je suis spécialisé dans les bébés secoués et je n’ai jamais vu d’aveux de la part de parents. Or, des aveux de violences familiales, de viols, il y en a. Par ailleurs, 90 % de mes clients ont des casiers judiciaires vierges. On peut s’énerver sur un nourrisson, mais là, on parle d’un parent qui secoue un bébé comme un prunier. »

Compliqué pour autant d’exclure l’hypothèse d’une maltraitance quand un médecin reçoit aux urgences un bébé apathique, avec des os brisés et des saignements dans le crâne. « Bien sûr qu’il y a des gens qui secouent les enfants, s’agace Grégoire Etrillard. Mais les enquêtes n’ont pas pour objet de vérifier l’existence d’un secouement, mais de l’imputer à quelqu’un ».

« C’est seulement après que l’équipe pluridisciplinaire a réalisé un bilan médical avec fond d’œil, radio du squelette entier et scanner qu’on peut définir avec certitude si l’on fait face à un syndrome de la tête secouée, rétorque la neurologue. Par ailleurs, on se base sur l’histoire racontée par les adultes. Lorsqu’un enfant tombe d’une chaise haute, les adultes racontent toujours la même histoire. Mais dans le cadre d’un bébé secoué, elle est souvent changeante, absente ou incompatible avec la sévérité des lésions. » Mais l’avocat souligne des manquements. « Les recherches ne sont pas suffisamment approfondies, les explications des parents balayées. Personne ne connaît l’ensemble des explications d’un hématome sous dural. »

« On tombe des nues »

Autre problème : la chute comme explication des lésions semble souvent écartée. Comme le montre l’histoire de François et Aline*, clients de Grégoire Etrillard. Leurs jumeaux sont nés à Necker, prématurés, en septembre 2018. « En juin 2019, notre pédiatre détecte une rigidité sur l’un des deux, il ne s’assoit pas », explique la mère. Ce que confirme un psychomotricien. Puis la vie du couple bascule en août 2019. « J’étais à la maison, avec mon homme de ménage. Mon fils tente de grimper sur mon dos, il perd l’équilibre et tombe en arrière, reprend la mère. »

A Necker, les médecins n’ont pas l’air inquiets. Mais le lendemain, la neuropsychiatre les accuse de maltraitance. « On tombe des nues, se remémore la mère. Les services sociaux de Necker sont septiques. Les policiers aussi. On passe trois entretiens à l’Aide sociale à l’enfance, qui recommande que l’enfant rentre la maison. Mais le signalement enclenche son placement en pouponnière. C’est le choc ! »

L’hôpital gardera leur fils quinze jours, avant qu’il ne soit placé chez ses grands-parents avec son frère. « On pouvait les voir, mais pas seuls et sans dormir avec eux. » Six mois plus tard, le juge arrête le placement mais prolonge la mesure éducative. « On rentre enfin chez nous et on peut s’occuper de nos enfants, souffle François. Et en mars 2021, le juge arrête le suivi et nous confie que le dossier est vide. Mais il y aura une poursuite pénale. On vit avec une épée de Damoclès pour quelque chose qu’on n’a jamais fait. » D’autant que leur fils n’a eu ni opération, ni séquelle. « Et sa pédiatre affirme que c’est connu que les prématurés risquent de faire des hémorragies intracrâniennes. »

Une illustration de ratés terribles dans ce genre de dossiers. « Les recommandations de la HAS sont trop assertives là où la science doute, regrette François. Le principe de précaution prévaut sur le principe d’innocence. » Le père, éprouvé, finit sur une note positive : « Aujourd’hui, nos deux enfants vont bien et vivent avec nous. »

« On peut avoir des suspicions, mais rester rationnel »

« Le débat est mondial, assure Grégoire Etrillard. On peut avoir des suspicions, mais rester rationnel. » « Si on a un doute, comment faire autrement que de placer l’enfant ? », rétorque Anne Laurent-Vanier. Qui insiste : « On parle d’ordonnance de placement provisoire, pas systématique. Et dans beaucoup de procès, les supposés auteurs de ces violences n’ont pas fait un jour de prison. »

Elle admet une certaine colère. « Le travail de la HAS a été réalisé par une centaine de professionnels, après l’étude de centaines d’articles et n’a reçu aucune critique scientifique. Mon but n’est pas que les gens soient condamnés, mais que la violence soit identifiée. En 2022 ou 2023, la HAS a prévu d’affiner ses recommandations. Mais en aucun cas pour revenir en arrière. »

* Les prénoms ont été modifiés.