PMA: « C'est devenu un filon exploité par des gens conscients qu’il y a de plus en plus d'infertiles »
INTERVIEW Trois journaliste publient ce mercredi une enquête sur l'infertilité. Comment est-elle accompagnée en France ? A l'étranger ? Et comment est-elle devenue un business ?
- Trois journalistes, deux femmes et un homme, signent une enquête baptisée « Génération infertile ? » qui paraît ce mercredi.
- A travers de nombreux témoignages et des interviews de médecins et chercheurs, ils dévoilent la détresse de certains couples hétérosexuels, mais aussi le filon que représente aujourd’hui l’infertilité pour certains paramédicaux, entreprises, cliniques étrangères.
- Cet essai dévoile l’ampleur de l'infertilité, la détresse qui l'accompagne, mais aussi certaines dérives et les lacunes de l’accompagnement en France.
Qui n’a pas une personne dans son entourage concernée par la procréation médicalement assistée (PMA) ? Si le sujet commence à sortir du silence, les interrogations restent multiples. Pour Génération infertile ?*, trois journalistes, concernés, ont enquêté sur le vécu de l’infertilité grâce à une cinquantaine de témoignages. Ils se sont aussi interrogés sur les causes de ce phénomène de société avec des interviews de médecins et chercheurs, mais également sur un versant qu’on connaît moins : le florissant business de l’infertilité. A l’occasion de sa publication, ce mercredi, 20 Minutes a interviewé les coautrices Pauline Pellissier et Estelle Dautry.
Vous êtes toutes les deux concernées par la PMA…
Estelle Dautry : J’ai fait deux fausses couches et une grossesse extra-utérine, puis on a été pris en charge en PMA avec mon conjoint à Paris. J’ai de l’endométriose et des ovaires polykystiques… comme beaucoup de femmes. On a fait une FIV et on a réussi à avoir un enfant, quatre ans après le début du parcours.
Pauline Pellissier : On a essayé avec mon conjoint d’avoir un enfant. Au bout d’un an, on est allé voir un spécialiste de la fertilité. J’ai une ovulation irrégulière, donc difficile de connaître la bonne fenêtre et mon conjoint n’avait pas un super spermogramme. On a commencé par une stimulation, puis au bout de quatre échecs, on est passé en FIV. Et on a eu de la chance parce que la première a fonctionné. Cela a mis deux ans.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris pendant votre enquête ?
Estelle : On pensait que l’effet de l’âge sur l’infertilité pouvait être compensé par cet accompagnement médical, mais en fait pas vraiment. Malgré tout ce qu’on arrive à faire, le taux de réussite en FIV n’est que de 40 %. Plus de la moitié des couples qui y entrent n’auront pas d’enfant huit ans plus tard. On n’est pas du tout sur une solution miracle ! Or, le grand public n’en a pas conscience.
Pauline : J’ai été impressionnée par le côté business de la PMA. J’ai un peu halluciné sur le fait que tout est décliné : tisanes, compléments alimentaires, box… La PMA est un filon exploité par des gens qui ont conscience qu’il y a de plus en plus de gens infertiles… qui ont un certain pouvoir d’achat.
Y a-t-il réellement une hausse de l’infertilité, ou est-ce que grâce aux progrès de la science, davantage de personnes ont la possibilité de faire appel à une aide médicale ?
Estelle : Effectivement, il y a un meilleur accès à la PMA qu’avant. Mais il y a aussi une augmentation de l’infertilité. Avec plusieurs facteurs : on se met à avoir des enfants plus tard. Il y a aussi un fort effet des perturbateurs endocriniens. Enfin, différentes pathologies, l’endométriose, les ovaires polykystiques, peuvent l’expliquer.
Pauline : Des métadonnées montrent une vraie chute de la quantité et de la qualité du sperme dans les pays occidentaux… Ce qui n’est pas de bon augure pour la suite.
Comment définiriez-vous la place de la France côté PMA ?
Estelle : Il y a deux points de vue : selon l’ONG Fertility Europe, qui regroupe des patients, l’accès est bon en France. Par rapport à d’autres pays où tout est payant, tous les couples hétéros, et les couples de femmes et femmes seules depuis peu, peuvent faire une PMA en étant remboursés [jusqu’à 43 ans et en partie]. En revanche, on est en retard sur la partie recherche.
Pauline : La France a aussi une place particulière sur le don de gamètes : comme tous les dons, ils ne sont pas rémunérés, ce qui fait que c’est très compliqué pour les couples français d’y avoir accès en raison de délais extrêmement longs. Les pays voisins ont fait le choix de dons rémunérés. Du coup, des couples qui ne peuvent se permettre d’attendre trois, quatre, cinq ans vont à l’étranger. Cela pose néanmoins la question de la marchandisation quand des Espagnoles de 25 ans donnent leurs ovocytes pour payer leurs études…
L’infertilité est donc devenue un business, notamment du côté des médecines alternatives…
Estelle : Dans les témoignages recueillis, c’est beaucoup remonté : il y a des dérives sur les médecines alternatives. Cela devient de nouvelles injonctions, culpabilisantes et avec un côté un peu « performance » : il faudrait faire l’acupuncture, le yoga de fertilité… Mais beaucoup de femmes disent « j’ai trouvé quelqu’un qui m’écoute ». Cela montre qu’il y a des carences dans l’accompagnement classique. A l’étranger, il y a certaines cliniques qui proposent le « tout inclus » : don d’ovocytes, spa, soutien psychologique… Elles ont compris que les femmes étaient à la recherche de médecines complémentaires.
Justement, les cliniques en Espagne, en République tchèque, en Belgique sont devenues prisées par les couples infertiles et les femmes seules désirant un enfant…
Estelle : En Espagne, la PMA est la deuxième industrie après le tourisme ! C’est pour ça que les lois sont aussi ouvertes : les femmes sont prises en charge jusqu’à 50, voire 55 ans. Mais c’est très difficile d’obtenir les chiffres des femmes françaises qui vont en Espagne pour une PMA…
Pauline : Aujourd’hui, il y a plus de Français qui font appel au don d’ovocytes à l’étranger qu’en France ! Et la Sécu rembourse en partie ces dons à l’étranger. C’est très bien qu’on aide les couples qui vont à l’étranger, mais c’est quand même très hypocrite. Et cela montre que notre système ne fonctionne pas : on rembourse les gens qui vont se faire soigner ailleurs.
Le 21 février, le gouvernement a reçu un rapport sur la fertilité, et Olivier Véran a annoncé une stratégie de lutte contre toutes les causes d’infertilité pour le printemps 2022. Ça bouge enfin ?
Estelle : Le problème, c’est combien il y a d’argent pour cette stratégie ? Pour l’instant, il n’y a pas ni calendrier, ni moyens sur la table. C’est pareil pour l’endométriose...
Pauline : C’est une première étape, on demande concrétisation. Est-ce que les choses vont bouger d’ici à la présidentielle ? J’ai un peu de mal à le croire. Alors que 3,3 millions de Français au moins sont concernés par l’infertilité, ce n’est pas une question mineure. Et au-delà de l’infertilité, on parle de santé environnementale, des perturbateurs endocriniens qui ont un impact sur le cancer, de l’état de l’hôpital public…
Parmi vos cinq pistes pour améliorer les choses, vous parlez d’un bilan de fertilité gratuit proposé à toutes les femmes. Pourquoi est-ce urgent ?
Estelle : Chacun fait un enfant s’il en a envie et quand il en a envie. Pour avoir toutes les clefs en main, le plus simple est de savoir, à 30 ans, où en est votre fertilité. Plutôt que de culpabiliser tout le monde, ce serait intéressant de détecter les femmes pour qui ça pourrait être difficile, pour parler de la congélation d’ovocytes.
Pauline : D’autant qu’il y a des infertilités assez jeunes. Sur l’ endométriose, énormément de femmes découvrent leur maladie quand elles n’arrivent pas à tomber enceintes.
Votre essai est coécrit avec >Victor Point. Et parmi vos cinq pistes, vous suggérez de donner une plus grande place aux hommes. Comment faire ?
Pauline : Un désir d’enfant se vit à deux, or tous les traitements sont subis par la femme. Ce serait important d’inclure les hommes à tous les rendez-vous, et même de rendre leur présence obligatoire. Il faudrait aussi changer le regard des soignants, qui ne s’adressent bien souvent qu’aux femmes.
Estelle : Au niveau de la loi, et c’est récent, les femmes peuvent s’absenter sans perte de salaire pendant leur parcours de PMA. On pourrait imaginer une évolution de la loi pour autoriser l’homme à accompagner la femme aux rendez-vous. Cette inégalité dans la PMA est assez difficile à vivre pour les femmes de notre génération, qui recherchent l’égalité dans le couple.
Pauline : On s’est rendu compte qu’il y avait encore plus un tabou sur l’infertilité des hommes. On a fait un questionnaire : sur 500 retours, moins de 10 hommes ont répondu. Les hommes sont autant concernés que les femmes par l’infertilité, certains sont très impliqués dans le parcours de PMA. Mais ils en parlent encore moins que les femmes autour d’eux.
* « Génération infertile ? », Victor Point, Estelle Dautry et Pauline Pellissier, Autrement, 9 mars 2022, 20 euros.